Tendances et évolutions pour les organismes mutualistes, de la stabilité économique aux mutations profondes des adhésions.

Dans son analyse annuelle parue le 22 décembre 2023 (ACPR, Les organismes d’assurance exerçant une activité de santé et de prévoyance en France en 2022, Analyses et synthèses, n° 155-2023, parue le 22 décembre 2023) , l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolutions (ACPR) met en exergue la stabilité des mutuelles dans le domaine de l’assurance santé […]

Print Friendly, PDF & Email

Dans son analyse annuelle parue le 22 décembre 2023 (ACPR, Les organismes d’assurance exerçant une activité de santé et de prévoyance en France en 2022, Analyses et synthèses, n° 155-2023, parue le 22 décembre 2023) , l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolutions (ACPR) met en exergue la stabilité des mutuelles dans le domaine de l’assurance santé (Cette étude se base sur des chiffres au 31 décembre 2022).

L’année 2024 annonce, quant à elle, un changement profond dans les modalités d’adhésion et donc de stabilité des portefeuilles pour les mutuelles ; les mutuelles de fonctionnaires qui répondront désormais aux appels d’offres des différents ministères sont particulièrement concernées.

Une année de stabilité

En termes de volume, l’assurance de dommages corporels, qui englobe la santé et la prévoyance, représente 59 milliards d’euros de primes, 58,9 précisément. Ceci représente la principale activité des mutuelles relevant du code de la mutualité, puisque 91% de leurs cotisations relèvent de ce domaine. 

Les mutuelles restent les premiers acteurs en assurance dommages corporels avec 19 milliards de collecte et 33% de parts de marché, en 2022, contre 34% en 2021, en léger repli au bénéfice des institutions de prévoyance qui atteignent 20% en 2022. 67% du volume des cotisations collectées par les mutuelles le sont par adhésion individuelle. Les mutuelles de fonctionnaires fonctionnent plutôt par adhésion individuelle quand les mutuelles interprofessionnelles optent principalement par adhésion au travers

de contrats collectifs négociés avec des entreprises. 93% des cotisations des institutions de prévoyance relèvent quant à elles de contrats collectifs. La charge des prestations santé augmente, passant de 33 milliards en 2021 à 35 milliards d’euros en 2022, quand la prévoyance reste stable à 14 milliards. 

Autre fait marquant, le capital de solvabilité requis (SCR) (« Le Capital de Solvabilité Requis correspond au capital économique dont a besoin une entreprise d’assurance ou de réassurance pour limiter la probabilité de ruine à 0,5%, c’est-à-dire à une seule occurrence tous les 200 ans », Solvabilité 2 enfin expliquée clairement, L’argus de l’assuranceest en légère hausse à 270%, devant celui des institutions de prévoyance, à 246%, ou des sociétés d’assurances à 238%. Un des changements à venir tient aux modalités d’adhésion pour les mutuelles de fonctionnaires, qui vont basculer d’une modalité d’adhésion individuelle à une adhésion collective.

2024, l’année des grandes migrations

L’accord national interprofessionnel (ANI), transposé dans la loi n°2013-504 du 14 juin 2013, instaure la généralisation de la complémentaire santé dans les entreprises du secteur privé depuis 2016. Les entreprises, dans l’obligation de proposer une complémentaire santé à leurs salariés, contractualisent avec des assureurs proposant un contrat groupe à leurs salariés.

Si cela ne concernait que les salariés de droit privé, la fonction publique est désormais soumise aux mêmes obligations depuis le décret n° 2022-633 du 22 avril 2022 relatif à la protection sociale complémentaire (PSC) en matière de couverture des frais occasionnés par une maternité, une maladie ou un accident dans la fonction publique de l'État ; avec comme échéance 2024 pour la fonction publique d’Etat. Les 5,5 millions d’agents publics, titulaires et contractuels, bénéficieront d’une contribution à hauteur de 50% de l’employeur public, à l’instar des entreprises privées envers les salariés qu’elles emploient, mettant ainsi fin à l’inégalité entre les deux régimes, public et privé, qui prévalait. Cette mesure est évaluée à hauteur d’un milliard d’euro sur le seul périmètre fonction publique d’Etat.

Les différents impacts

Les mutuelles concernées vont devoir changer l’intégralité de leur manière de communiquer – en relai de celle des employeurs publics – mais aussi de commercialisation de leurs offres. En interne, l’impact se fait sur leur organisation, leur système de distribution, leurs outils informatiques et de gestion, la transformation impose ainsi des changements de pratiques, de compétences, de postes pour les équipes. L’adaptation, l’agilité, la réactivité envahissent alors les organisations mutualistes. L’adaptation des équipes, des militants, des outils est alors le premier défi de fond dans un calendrier extrêmement court, les mutuelles n’auront que deux à trois années pour organiser cette mue en profondeur. Cela les met en tension en interne, naturellement, mais aussi les exposent ;, elles font face à des acteurs implantés et expérimentés sur les contrats collectifs depuis de nombreuses années.

Au défi de la transformation s’ajoute celui du défi concurrentiel, avec un possible impact dans le paysage mutualiste.

Si les plus petites mutuelles apparaissent en fragilité, les grands acteurs peuvent l’être également, les mutuelles historiques, implantées sur un ministère de prédilection pourraient par exemple perdre la couverture de leurs agents, pour certaines, voire couvrir des agents d’autres ministères, moins bien connus.
Leurs acronymes, assez identitaires, perdraient de leur sens, certainement. Cette réforme va avoir comme effet immédiat une sorte de « grande migration ». Les mutuelles vont ainsi voir disparaître la quasi-totalité de leur portefeuille d’adhérents individuels, actifs, dans l’espérance de les récupérer au travers d’un contrat collectif émis par le ministère dont relève l’agent public. Cette remise à zéro, inédite dans l’univers mutualiste de fonctionnaires, présente certes une sorte de vertige psychologique mais aussi des changements tangibles réels et immédiats. Dans tous les cas, des alliances entre mutuelles, mais aussi entre mutuelles et d’autres acteurs se profilent déjà pour répondre aux appels d’offres tissant de nouvelles relations partenariales au-delà de groupes de mutuelles déjà constitués.

Au-delà de ces logiques assez organisationnelles, c’est avant tout un changement profond de philosophie que les mutuelles affrontent.

La logique de l’adhésion individuelle, volontaire, qui a été un principe fondateur, fort des mutuelles et appelle plusieurs réflexions. L’individu perd sa liberté d’adhérer, or cela représente bien un principe de base de l’économie sociale, en général, et de la mutualité, en particulier. L’adhésion caractérise aussi l’engagement de l’individu dans la mutuelle,  exprimée par sa démocratie. Dans le cadre d’une adhésion individuelle, chaque adhérent a ainsi toute légitimité à participer à l’Assemblée générale de la mutuelle, de cette société de personnes et non de capitaux. Cela pose également la question de la désignation des délégués à l’Assemblée générale, de leur mobilisation dans la durée, de leur élection dans le cadre de contrats temporellement différents. Pour les mutuelles, cela pousse à imaginer de nouvelles modalités de mobilisation, de participation de chacun, que ce soit les employeurs publics ou les agents couverts. Cela amène ainsi à poser à plat le modèle démocratique, une nouvelle page va s’écrire sur les modalités de participation démocratique.

Précédemment, chaque adhérent entrait dans la mutuelle avec comme souci celui d’une protection mutuelle, fraternelle, pour les uns, sur la base de la charité, pour les autres, en fonction de son obédience et ses croyances mais les ressorts ou les élans de solidarité présentaient de fortes similitudes. Les mutuelles faisaient le choix de la mutualisation des moyens de tous pour répondre aux besoins de chacun, de manière égalitaire, solidaire.

Longtemps, les mutuelles ne disposaient que d’un seul contrat, une cotisation calculée sur les salaires, proportionnellement, symbole de solidarité, à l’image de notre société au travers les impôts. Les directives assurances ont emporté les logiques de solidarité pour imposer une logique de risque individuel. Les assurances deviennent alors un produit calculé sur le risque que présente chacun, avec comme pratique émergente – acceptée – l’exclusion des mauvais risques. Nous sommes ainsi passés d’une logique mutualiste, de long terme, à une approche individualisée, de court terme. La PSC interroge un peu plus les logiques de mutualisation, la solidarité qui existait dans le portefeuille entre les plus jeunes et les plus anciens, les actifs et les retraités, est à terme menacée. De même, les actifs ont accepté de contribuer dans une mutuelle dans l’idée d’un retour de leur engagement financier sur la base de la solidarité et la mutualisation à leurs vieux jours. La règle du jeu change. Comme si un citoyen ayant cotisé toute une vie dans un régime de répartition voyait ce régime abandonné au moment de sa retraite, sans qu’il puisse en profiter.

Les mutuelles étaient également attachées à coupler une assurance santé et de prévoyance, si la première est moins risquée, la seconde peut l’être plus. Le risque d’un découplage des deux dans les appels d’offres amènerait les agents à ne pas se protéger en prévoyance, qui est moins facile à appréhender que l’assurance santé, mais pas moins importante. Il y a ainsi une forme de cohérence à maintenir les deux offres couplées.

Les mutuelles se sont toujours adaptées à la concurrence et aux cadres donnés par les pouvoirs publics et réglementaires, elles poursuivent une ambition qui est celle de leur origine, le bien-être de leurs adhérents, leur accompagnement à tous les moments de la vie. Avec la PSC, les défis sont de réinventer les modalités de participation de chacun dans la vie démocratique, de protection de chacun, de manière solidaire et durable face aux aléas de la vie, pour une population protégée qui évolue en âge. Avec 30% des fonctionnaires ayant plus de 50 ans, de nombreux risques se profilent liés aux maladies chroniques, à la santé mentale, au handicap, à la dépendance. Une société qui vieillit multiplie les problématiques comme celle des aidants et remet au centre le bien vieillir. Autant de défis auxquels les mutuelles sont invitées à répondre, ce « big bang” pour paraphraser le titre du webinaire organisé le 13 décembre dernier par la Mutualité Fonction Publique sera l’occasion de poser les défis globaux et les innovations à inventer.

Print Friendly, PDF & Email
0:00
0:00