Chroniques de l’IM, MGEN Bretagne : bien-être psychique et cognitif des étudiants en santé, quelles solutions proposer ?


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Depuis 70 ans, l’Ecole des
hautes études en santé
publique, acteur majeur de
santé publique en France,
développe une politique volontariste
de formation et de recherche.
Elle s’est toujours donné pour ambition d’accompagner, par des formations exigeantes et de qualité, les professionnels de santé pour leur permettre de répondre aux évolutions de leurs métiers. Sa transformation en 2008, souhaitée par le législateur, pour devenir un grand établissement d’enseignement supérieur et de recherche tout en assurant la formation des cadres dirigeants de notre système de santé en fait une structure unique, permettant de lier formation professionnalisante, formation académique et recherche, et lui conférant une renommée dépassant largement les frontières de notre pays. Modèle français unique, pluri- et transdisciplinaire adossé à un réseau international, l’EHESP est devenue une référence pour de nombreux pays étrangers.

SANTE MENTALE DES ETUDIANTS EN SANTE QUELLES SOLUTIONS PROPOSER ?

En 2018, la psychiatre Donata Marra remettait à Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé, un rapport sur la qualité de vie des étudiants en santé et émettait plusieurs préconisations pour lutter contre la situation préoccupante dans laquelle peut se retrouver cette population spécifique.

Ces jeunes, professionnels de la santé en devenir, connaissent, comme leurs aînés, stress, épuisement et anxiété et en subissent les conséquences psychologiques et physiques.
Un sujet de préoccupation pour de nombreux acteurs du secteur dont la MGEN. En effet, parmi ses différentes actions, la mutuelle se penche depuis quelques années déjà sur la question du bien-être des étudiants en santé.

Après la première mise en place d’un groupe de travail à ce sujet en 2017, une étude commandée par la MGEN Bretagne en 2021 a précisé les différentes formes de souffrance que connaissent les étudiants et a identifié ce qui, dans leur parcours d’apprentissage, est facteur de risque. Cette enquête menée par cinq étudiantes de l’EHESP (1) auprès de 500 étudiants-infirmiers et 650 élèves aides-soignants des Côtes d’Armor et de l’Ille et Vilaine a aussi permis de proposer des pistes d’action afin de protéger et d’aider ces « soignants de demain ». Nous vous proposons de retrouver ici les enseignements et les axes tirés de l’étude et enrichis par le regard de professionnels.

Des risques qui se multiplient tout au long de la vie étudiante

Les études en santé alternent, comme la plupart des formations, entre théorie et
pratique. À la différence près, que les étudiants de ce secteur se retrouvent confrontés dans leur apprentissage à des enjeux humains, à des réalités souvent difficiles et à des responsabilités peu communes qui ont des conséquences non négligeables sur leur bien-être, leur équilibre et leur santé mentale.

« Selon l'organisation Mondiale de la Santé, la santé mentale se définit comme le bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive, et d'être en mesure d'apporter une contribution à la communauté. »
Élisa Hové
Coordinatrice du CLIC Portes de Bretagne

A la précarité et aux difficultés matérielles qui sont le lot, malheureusement, de
beaucoup d’étudiants en France, s’ajoutent pour ces jeunes des détresses émotionnelles accentuées par la difficulté pour eux de libérer du temps pour leurs activités personnelles et qui finissent donc par s’isoler.

« Être étudiant infirmier ou aide-soignant c'est 35 h par semaine, il n'y a pas ces espaces que peuvent avoir les autres étudiants. Quand on a 22 ou 23 ans, on a aussi besoin d'autre chose mais eux se trouvent complètement submergés. »
Marie-Christine Charrière
Marie-Christine Chareyre
Directrice des soins, Coordonnatrice des Instituts de formation au Centre Hospitalier Guillaume Regnier

En effet, la partie théorique, au rythme extrêmement soutenu (2), condensée pour maximiser les connaissances et anticiper au mieux leur application sur les terrains de stage, leur demande de supporter une forte charge de travail souvent vécue comme un facteur de stress (3) alors que plane déjà l’angoisse du stage.

Car un manque de confiance dans leurs capacités, la responsabilité qu’ils vont avoir face aux patients, l’intégration dans un nouvel environnement (4) sont autant de déclencheurs de mal-être pour ces jeunes étudiants avant même de se retrouver sur le terrain. Et, si lors de la période d’apprentissage pratique des appréhensions sont levées, certaines se confirment et d’autres se révèlent (5) . Ainsi en est-il de l’évaluation et de la validation des compétences : parmi les facteurs de stress, 81% des sondés déclarent ressentir une “peur de l’échec et de leur avenir”.

 

« On a bien conscience qu’ils sont pris entre, d'un côté l'excitation d'aller en stage, d'être au plus près des patients, de pouvoir apprendre de nouvelles techniques, et d'un autre côté l'appréhension de voir une équipe qui, peut-être, n'aura pas le temps de les accompagner comme il se faudrait et la peur de se retrouver en difficulté, de se sentir jugé par les cadres ou des médecins. Ils se mettent cette pression d’autant plus qu’ils sont dans cette crainte de ne pas valider une partie de leur diplôme. »
Magalie Robert
Magali Robert
Directrice des ressources humaines des centres hospitaliers de Paimpol et Tréguier

Un mal être qui se trouve renforcé par une impossibilité pour nombre d’étudiants
d’exprimer leurs difficultés. Une communication qui se trouve entravée par la peur du
jugement et la pression ressentie :

« Il faut aussi qu’ils (le personnel de l’institut de soins, NDR) aient une bonne opinion de nous, parce que ce sont eux qui nous jugent et ce sont eux aussi qui disent si on valide notre stage ou pas. On doit toujours être hyper clean et parfait. »
Citation extraite de l’étude.

La Présidente de la FNESI, témoigne d’ailleurs de l’existence d’une “culture de
l’effort et de la difficulté́” perpétuée dans le milieu du soin. La reproduction des
comportements violents, la multiplication de remarques désagréables et de critiques, le
manque de reconnaissance du travail effectué participent à la normalisation et
l’invisibilisation des difficultés rencontrées par les étudiants.

Des points de frictions et des causes de stress qui trouvent en partie leur explication
lorsque l’on se tourne vers les professionnels. En effet, l’étude montre qu’ils connaissent très mal les acquis des étudiants durant leur période de formation théorique ainsi que les attentes des instituts quant aux compétences à acquérir en stage. Une méconnaissance qui souvent se renforce par un manque de formation à l’accueil d’une population en apprentissage et à la transmission des connaissances et compétences cumulés à leur propre charge et rythme de travail déjà extrêmement soutenus. Par conséquent, nombre d’entre eux ne peuvent ni intégrer ces futurs soignants comme il le faudrait, ni leur apporter une attention liée à leur statut « d’apprenant ». Cependant, il est à noter que ces déterminants relevés lors de l’enquête peuvent être des bases d’action de terrain positives, certaines déjà déployées ou d’autres à mettre en place.

Une connaissance des points de détérioration qui peut nourrir des actions concrètes

L’étude propose ainsi plusieurs axes pour créer le climat de confiance, le respect et la
reconnaissance dont ont besoin ces futurs soignants durant leurs périodes d’apprentissage. Des mesures qui doivent être pensées avec toutes les parties prenantes pour garantir leur efficacité.

« Il faut permettre aux individus d'agir pour leur propre santé et donc créer des environnements favorables, avoir un bon niveau d'information... La promotion de la santé mentale c'est tout un ensemble de la déstigmatisation du sujet à la communication autour de celui-ci pour la libération de la parole »
Elisa Hové

A commencer par la sensibilisation à la santé mentale et au bien-être. Il apparaît primordial que ce sujet soit connu et reconnu et ce par toutes les populations (étudiants (6), enseignants, personnels dans les établissements de soins) afin d’être prévenu, détecté et accompagné. Des actions sur tous les lieux doivent donc être pensées qu’il s’agisse de former au sujet, de communiquer ou de rendre visibles et accessibles les ressources disponibles (et adaptées) pour les étudiants qui pourraient avoir besoin de soutiens financiers et psychologiques. Et au formateur-référent pourrait s’adjoindre au sein des établissements de soins un référent en santé mentale, afin que, dans les équipes, existe une personne à même de recueillir la parole et de centraliser l’information sur cette thématique.

« L'accompagnement à la formation des formateurs fait également partie des axes que nous développons à la MGEN. Par exemple les parcours de techniques d'optimisation du potentiel qui permettent d'apprendre à gérer le stress, à se préparer aux examens, à se préparer à l'entrée dans la vie active, au stage mais également de prendre soin de soi physiquement. »
Mélusine Harlé
Mélusine Harlé
Directrice de la prévention, MGEN

Une autre piste est de favoriser l’échange entre les deux sites de formation, théorique
et pratique, afin d’harmoniser les demandes et de désamorcer les tensions. Cela permettrait également aux établissements de soins de mieux cerner les attentes des instituts et de sécuriser davantage les étudiants, en acquérant une meilleure connaissance du contenu pédagogique dispensé. Mais aussi aux étudiants d’anticiper ce qui est attendu d’eux pendant leur stage.

« Pour préparer les départs en stage, il y a deux solutions. Soit le formateur dit à l'étudiant ce qu'il doit faire en stage soit on fait venir à l'institut les professionnels des terrains de stage pour qu’ils rencontrent les étudiants et leur explique comment ça se passe en réanimation, en gérontologie, en cardiologie... Ainsi ils ont un échange direct ce qui permet de dédramatiser le départ en stage. »
Marie-Christine Charrière
Marie-Christine Chareyre

D’autre part, lorsque l’étudiant se sent en confiance avec l’équipe le stress lié aux
bilans de stages est levé et les temps d’échanges ne sont plus redoutés mais considérés comme constructifs. L’encadrement (dans les instituts de formation ou sur les lieux de stage) est donc clé dans le bien être des étudiants, de la procédure d’accueil à la disponibilité́ du cadre de santé et l’investissement des infirmiers dans le suivi des stagiaires.

« L'hôpital d'instruction des armées Clermont-Tonnerre à Brest a un kit d’accueil personnalisable en fonction du lieu de stage et du niveau des étudiants. On s’est inspiré de celui-ci pour faire une petite mallette d'accueil pour nos étudiants. L'idée c'est d'avoir un livret sur l'établissement et le service où on est affecté pour mieux les connaître. L'autre dispositif qu'on vient de mettre en place c’est un séminaire d'accueil des étudiants en santé à chaque semestre. D'autre part, les tuteurs ont un support de formation, un support de secours en quelque sorte. »
Magalie Robert
Magali Robert

Enfin, en complément à ces différents dispositifs la vie communautaire et le soutien
de pair à pair entre les étudiants ont été identifiés par les sondés comme déterminants à leur épanouissement, il faut les rendre possible. Si le déploiement d’« étudiants sentinelles » (ou étudiants relais) déjà en cours va dans ce sens, cette option demande d’être mieux pensée et accompagnée car elle repose sur une importante organisation incluant la formation et la supervision des volontaires afin de ne pas leur faire porter une lourde charge supplémentaire.

« Les programmes sentinelles sont des programmes extrêmement positifs et importants parce qu’ils font appel au pair à pair, ils libèrent la parole. Évidemment, il faut que ces programmes impliquent aussi des spécialistes parce qu'un étudiant reste un étudiant »
Mélusine Harlé
Mélusine Harlé

Sachant que 80% des étudiants déclarent pouvoir s’exprimer librement au sein de leur institut de formation il faut faire de ce lieu un lieu où ils se sentent en sécurité, libres de participer et de parler, de vivre pleinement leur formation. Ainsi plusieurs pistes sont
possibles et créer un espace repaire au sein de cet environnement de confiance où les étudiants pourraient se retrouver et échanger apparaît donc pertinent. Mais aussi encourager toute forme d’implication et d’appropriation de leur institut de formation.

« Leur donner une place d'acteurs afin qu’ils vivent leur formation au sein de cet institut qui, d'une certaine manière, devient leur deuxième maison. Je crois beaucoup à la confiance envers les étudiants, à l'écoute qu'on peut leur apporter et à leur participation à tous les projets de l’institut. »
Marie-Christine Charrière
Marie-Christine Chareyre

Une étude qui corrobore donc les ressentis des professionnels et qui permet de mieux cerner les axes d’action pour que les étudiants puissent vivre ces années d’apprentissage pleinement et sereinement. Des leviers simples qui, on l’a vu, s’inscrivent dans la spécificité de ce temps qu’est le temps des études et concourent à la préservation des liens sociaux.

« Depuis 1930 la Harvard Medecine School mène une étude dont la question directrice est, "Qu'est-ce qui nous rend heureux ?." La réponse : des relations sociales positives. Donc c’est ce qu’on évoque quand on évoque le besoin de liens, de foyers et cetera... Et parfois ce sont des choses toutes simples, des mains tendues, des séminaires d'intégration. Il faut itérer pour générer une culture plus épanouissante et qui va permettre aux étudiants d’être plus forts et plus à l'aise. »
Mélusine Harlé
Mélusine Harlé
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