Santé et éducation populaire

Docteur en éthique médicale (1997) et en économie de la santé (2006), a été directeur d’hôpital (promotion de 1978) et des établissements de la MGEN (2001-2009), conseiller du président de la MGEN (2010-2017). Il est président du conseil scientifique de l’Institut Montparnasse, auteur de nombreux livres et articles, consulting Professor de Stanford depuis 2006 et enseignant à l’ESSEC et aux Arts & Métiers, en particulier. Ses travaux actuels portent sur les sciences du danger, l’économie humaine et mutualiste, la santé globale sous l’Ère numérique.

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Santé et éducation populaire

Introduction à la première conférence d’un cycle consacré par le Groupe VYV et l’Institut Montparnasse à l’éducation populaire. Elle s’est tenue le 15 mars au siège du Groupe VYV.

Ce texte daté du 18 mars reprend le prononcé enrichi de certains apports des autres communications et d’éléments de conclusion.

Bonjour à toutes et tous. Merci de votre présence et merci aux intervenants
d’avoir répondu à l’Institut Montparnasse pour le partage d’expériences de ce
matin.

Je vous transmets les salutations de notre président Bertrand Souquet qui est
aussi celui de l’Economie Sociale Partenaire de l’Ecole de la République,
l’ESPER. Merci au groupe VYV de son accueil et à Chloé Beaudet et Florian
Betton de consacrer de l’énergie à nouer des fils entre la santé, l’éducation
populaire et la mutualité. Merci à Olivier Boned, administrateur de l’Institut, de
sa présence active.

Mon introduction va porter sur notre santé. Celle de chacune et chacun. Et la
santé publique, celle de notre communauté de destin.

Mon propos est lié à mes métiers passés de directeur d’hôpital, consultant en
France et à l’international, entrepreneur privé, directeur des établissements de
soins de la MGEN et conseiller de son président. Il est lié aux enseignements
qui m’ont été confiés, notamment par les chaires santé de l’ESSEC et des Arts et Métiers et par Stanford en santé globale. J’adhère au Cercle Entreprises et Santé qui œuvre sur les interactions entre le travail et la santé.

Je cite le Pr. Alain Grimfeld, pédiatre et spécialiste des maladies respiratoires et
des liens Santé-Environnement : « On ne peut concevoir une existence
individuelle, et celle d’une société en bonne santé sans partage de moments de vie entre les êtres. »

J’ai bénéficié d’une forte proximité avec les médecins qui m’ont enseigné
l’information et l’éthique médicales, l’économie de la santé, la recherche et ce
que je pouvais comprendre de la Clinique. En m’invitant au staff de leur équipe, décisif pour l’avenir immédiat de leurs patients. Et au bloc opératoire. En
m’incitant à publier, jusqu’à cosigner. Sans jamais oublier les responsables des
soins infirmiers et du plateau technique. 

Je remercie le Dr. Pierre Frutiger d’avoir relu le présent texte. 
Cette citation de François Cheng n’est-elle pas à méditer ?

“N’oubliez pas, on vit 
juste pour quelques rencontres.” Je souhaite donc exprimer ma gratitude à des maîtres disparus qui m’ont profondément marqué : le Pr. Philippe Poitout (1936-1999), le Pr. Emile Papiernik (1936-2009), le Pr. François Grémy (1929-2014), le Dr. Jean-Louis Coy (1940-2023). Dans le dialogue entre Santé et éducation populaire que nous voulons tisser ensemble, selon l’esprit et les pratiques du mutualisme, quels défis rencontrons-nous ?

Santé et éducation populaire : trois défis, parmi d’autres…

Celui de l’information, de la Data, d’abord.
L’Ere numérique crée 100 fois plus de données qu’il y a quinze ans. Il y a 5 000
publications scientifiques par jour. Nombre d’entre elles portent sur notre
santé. Le seul code de la santé publique comporte trois fois plus de mots qu’il y
a vingt ans : 1,6 million. La saturation peut étouffer le Droit.
Quelles sont les passerelles entre les données, les connaissances nouvelles que
leur traitement fait éclore, les expériences réelles que nous en avons et la
compréhension augmentée de notre humanité ? Osons essayer de penser ces
transitions, nous recommande Emmanuel Kant. Alors, patients, soignants,
citoyens, cotisants et contribuables sont en droit d’attendre de véritables
synthèses.
Le second défi porte sur nos représentations. Que savons-nous du
fonctionnement de notre corps ? Et du monde santé-social avec lequel nous
vivons des interactions variables dans le temps, l’espace, le savoir ? Des
urgences aux maladies chroniques, de la construction opiniâtre des déserts
médicaux, du déni des faits au profit de mythes…

Avons-nous entendu le message des pionniers de la santé publique démontrant
combien l’allongement de la vie en bonne santé est lié à l’hygiène, la salubrité
publique, l’alimentation, les conditions de vie et de travail ? La santé doit être
dans toutes les politiques.
Le troisième défi est celui du langage. L’honneur des médecins et des soignants
de toutes les civilisations est d’avoir progressivement enrichi les observations
puis la terminologie diagnostique et thérapeutique.

Elle décrit organes et maladies et des réalités subtiles : dangerosité, douleur,
sévérité, gravité, complexité… Et les ressources pour y faire face : du code
d’Hammourabi et du papyrus Smith, il y a 40 siècles, à la SNOMED-CT,
nomenclature médicale multilingue construite à partir de 1975, qui comporte
350 000 concepts et que pratiquent et enrichissent 43 pays de tous les
continents, dont la France, depuis 2022. Néanmoins, il faudra éviter que des
standards mondiaux ne freinent des pratiques locales adaptées au milieu réel
et local de vie.
Enthousiasme ! Je continue avec ce mot de Pasteur.

Quelques nombres du corps

Le corps humain est unique. Son pouvoir récupérateur est puissant. Nous
devons à la médecine et aux soins de mieux le savoir aujourd’hui que jamais
auparavant.
Pour ma part, je retiens qu’il faut bouger pour que notre réseau de veines, artères, capillaires de plus de 100 000 kilomètres fonctionne correctement.

Notre cerveau contient de l’ordre de 86 milliards de neurones. Chaque jour,
notre cœur bat 100 000 fois et nous inspirons 12 000 litres d’air.

Notre corps est renouvelé tous les 15 ans. Nous dormons un tiers de notre vie.
Notre organisme compte des milliers de milliards de cellules de 200 types différents. 10% sont immortelles. Nos cellules juxtaposées : 15 000 kms. L’ADN multiplie ce chiffre par 10 000, soit 150 millions de kilomètres, la distance de la Terre au Soleil.

Pour l’humilité : seuls 2% de nos gènes peuvent expliquer la différence entre
notre espèce et les chimpanzés. S’agissant de l’Humanité, une donnée très émouvante : ensemble, nous avons entre 90 et 110 milliards d’ancêtres. Notre
espèce est sociale mais nous ne pouvons guère former de groupes harmonieux
comportant plus d’une centaine de personnes. Alors, des hiérarchies de tous
ordres entrent en rivalité. La Ponérologie politique montre pourquoi, sur 35
siècles, l’Humanité n’a connu la paix que moins de 10% du temps. Dans ces
conditions, n’est-il pas temps de prendre en compte le programme dessiné par
Edgar Morin, il y a 25 ans, Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur,
avec le soutien de l’UNESCO ?

Je vous soumets donc plus qu’un intérêt pour l’éducation populaire : sa
nécessité.

Nécessité et fondamentaux de l’éducation populaire

Si les références au passé et aux contextes sociopolitiques des premières
réalisations de l’éducation populaire, au 19 ème siècle, ne pèsent pas trop lourd
dans nos appréciations d’aujourd’hui, nous pouvons reconnaître l’actualité et la
pertinence contemporaine de ses fondamentaux :

  •  Finalité transformatrice, irrigation sociale.
  • Contribution à l’émancipation.
  • Emergence et ancrage locaux.
  • Prises de conscience.
  • Tous sachants et apprenants, activement.
  • Droit au tâtonnement au sein de nos laboratoires d’innovation sociale.
  • Intérêt général et qualité de vie.

En outre, l’exercice quotidien des professionnels de santé peut être amélioré
parce que leurs futurs patients auront eux-mêmes progressé. Avantages et
chances croisés puisque, selon l’Organisation Mondiale de la Santé, il
manquera 15 millions de professionnels de santé sur 59 millions à temps plein
d’ici à 2030.

Vigilance aux perturbateurs délétères du monde santé-social et de l’éducation populaire…

Evidemment, la posture de ceux qui ont toujours raison même quand ils ont
tort – l’ancien monde du mépris – à l’égard de ceux qui auraient toujours tort
même quand ils ont raison bloque tout.
Michel Rocard écrivait en 2006 : « Nous sommes le seul pays d’Europe où nous
ne nous parlons pas.  » Il soulignait le déséquilibre entre la Loi et l’industrie du
Droit et des statuts – sous prétexte de régulation – et le Contrat qui domine
partout ailleurs en Europe. Le décret d’Allarde et la Loi Le Chapelier de 1791
ont été funestes au dialogue social et aux métiers du faire.

Ainsi, aujourd’hui, nombre de perturbateurs délétères du monde santé-social
et de l’éducation populaire sévissent : dénigrement des métiers du faire,
provocations inanes sous prétexte de modernité, gouvernance par les textes et
les nombres, refus des retours d’expérience, déconstruction-reconstruction
artificielle au détriment des faits, violence polymorphe, dérivation de fonds
publics en faveur de machines technobureaucratiques et groupes de pression,
prolifération de charges de structure et coûts cachés, etc.

Mais si nous sommes vigilants à nos biais cognitifs, au bal des ego et à la lutte
des places, l’éducation populaire, parce qu’elle est ancrée dans le réel des faits
et des nécessités ignorés des « grands systèmes », construit des réponses
appropriées.

En santé, la crédibilité de l’éducation populaire réside dans la conscience
qu’elle situe ses actions dans l’immense espace des soins non professionnels
prodigués entre pairs. En santé, la visibilité et la marchandisation ne sont pas
le dernier mot de l’efficience. Dans toutes les transitions majeures, éducation
populaire et démocratie font cause commune. Les acteurs de l’éducation
populaire sont des médiateurs sociaux.

Face à la précipitation de l’en-haut à légaliser les représentations en ignorant
les substrats factuels réduits à des processus encagés dans des modèles, nos
actions d’éducation populaire promeuvent le vivant et nous préparent aux
surprises de haute intensité.

Face aux croyances dans les propriétés auto-organisatrices de formes
procédurales jamais débattues en amont, l’éducation populaire incarne le
respect du pluriel distant des déterminismes linéaires. Avant de fixer un signe
d’égalité abstraite et un paramètre constant de corrélation, réfléchissons. Sans
nous payer de mots.

En conclusion ouverte, je vous soumets ceci :

  • Il y a en santé de multiples récits, tous à prendre en compte. 
  • On ne peut « réifier » ni notre propre santé ni la santé publique, notre bien
    commun, en des « objets » uniques. 
  • A nous donc de préciser nos référentiels et de les comparer à ceux des
    autres : professionnels de santé, malades et leurs proches, Etat, Sécurité
    sociale, mutuelles et assurances, industriels, chercheurs… 
  • A partir de ces histoires d’être ensemble, on peut créer des espaces
    coopératifs, porteurs de dynamiques-germes, selon l’expression du
    mathématicien René Thom.

Oui, innovons, testons, croisons, associons, déployons… Au cœur de la vision
territoriale de la santé, de l’information ressource, de la qualité. Portés par une
médecine créative, avec les technologies idoines. En santé, nous devons
reconnaître ensemble ce qui a de l’importance, ce qui conditionne la
robustesse de nos réponses. Devenant ce à quoi nous prêtons attention, nos
intentions et buts sont déterminants.

Je vous remercie.

Nous remercions chaleureusement les orateurs de la matinée : Eric Le Grand,
Jean-Victor Ayité, Caroline Pincas, Boris Tavernier, Jean-Marie Blanchoz,
Christine Ferron.

Ils nous ont permis de parcourir des réalisations dont l’utilité sociale est de
premier ordre et qui témoignent de volontés fortes et coopératives de
transformation sociale, au service des plus fragiles et d’une meilleure santé
sociale.

Des réalisations du Programme d’Appui aux Stratégies Sociales (PASS), en
Afrique de l’Ouest, soutenu par le Groupe VYV et la Fédération nationale de la
Mutualité Française, à UNIS-CITE qui accompagne 10 000 jeunes dans une
vision et des pratiques du service civique qui peuvent s’investir en santé, à
celles de Vers un Réseau d’Achat en Commun (VRAC) qui constitue des
groupements d’achats dans les quartiers prioritaires et milite à la promotion
d’une Sécurité sociale de l’alimentation – est-il besoin de souligner combien le
diabète et le surpoids nuisent à la santé ? -. Réalisations de l’académie
populaire de la santé, soutenue par le Conseil départemental de Seine-Saint-
Denis au nom du pouvoir d’agir et de la santé communautaire, et de la
Fédération Promotion Santé qui s’efforce de donner de la visibilité à celles et
ceux qui, forts de leurs ancrages, ont décidé que la santé publique est l’affaire
de toutes et tous. Ensemble, ils représentent un savoir-faire considérable qui
doit être partagé sous le format le plus accessible.

Ces témoignages font penser à cette citation de Léonard de Vinci : « S’il faut
comprendre pour faire, il faut aussi faire pour comprendre. »

Dans les liens entre santé et éducation populaire, s’il ne s’agit pas d’apprendre
la médecine, ce qui passe par un parcours initiatique de dix ans partout dans le
monde, toutes et tous nous avons besoin de nous approprier notre propre
santé, la ressource de nos vies, dans nos environnements respectifs.

Je suggère que l’on investisse sur 5 axes, notamment.

  1. Celui de la motivation à partir de telle ou telle maladie et des traitements.
    Des plateformes fiables sont nécessaires. La qualité de la prévention est liée à
    celle de la motivation.
  2. Celui de l’économie de la santé sur laquelle pèsent, malheureusement, des
    coûts de pauvre qualité considérables. Selon l’Organisation mondiale de la
    santé et les pays, de 20 à 40% des ressources en santé sont purement et
    simplement gaspillées.
  3. Un accès éclairé à la prévention, dans un langage compréhensible explicite.
  4. Une mémorisation des réalisations locales dans des bases de connaissances personnalisées et orientées en faveur de synthèses.
  5. Une volonté d’évoluer avec les innovations, sous condition d’esprit critique positif.

Je souhaite évoquer le travail en cours du CIRIEC-France, branche française du
Centre International de Recherches et d’Information sur l’Economie Publique,
Sociale et Coopérative qui relie des centaines de chercheurs. A la demande
d’ESS France, nous devons produire, avant l’été, rapport et recommandations
sur la place actuelle et à venir de l’Economie sociale et solidaire dans le monde
santé-social français.

Hospitalier, j’ajoute que la violence à l’encontre des professionnels de santé, en
forte augmentation, est inqualifiable.

Dans leurs responsabilités de consultation, de délibération, de représentation,
d’organisation, d’explication, toutes les composantes de l’économie sociale et
solidaire s’emploient à tisser et à réparer des liens sociaux absents ou brisés.

La santé est donc, légitimement, l’une des principales dimensions de leurs
engagements et actions.

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