Jean-Marie Fessler

Chroniques de l’IM, Jean Marie Fessler : Pratiques éthiques et pratiques démocratiques (2/3)


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Jean-Marie Fessler

 

Docteur en éthique
médicale et en économie
de la santé, président du
conseil scientifique de l’Institut
Montparnasse, professeur associé
de Stanford, ancien directeur d’hôpital
et des établissements de soins de la
Mutuelle générale de l’Education nationale
et conseiller de son président. Il est auteur
ou co-auteur de nombreux ouvrages et
publications.

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Témoigner …

L’une des parades actives à maintes entreprises de démoralisation peut être le témoignage.

A nos yeux, son principal mérite est qu’au moins les histoires de nos vies ne seront pas narrées par d’autres ou, ce qui est bien plus commun, purement et simplement passées sous silence.

Considérant qu’il ne peut y avoir de démocratie renouvelée sans démocrates eux-mêmes renouvelés, qu’en est-il de nos pratiques démocratiques réelles ? Dans nos liens familiaux et de voisinage, amicaux, sociaux, professionnels, nos réflexes et comportements sont-ils démocratiques ? La démarche autocritique d’Edgar Morin nous montre la voie.

Celle aussi de Bertrand Vergely qui interroge : « La fin programmée de l’humain a-t-elle commencée ? » Par exemple, considérer que la réalité serait réactionnaire ou accorder la citoyenneté à un robot ou encore prôner d’abolir la différence homme-femme et la filiation, destituer des vérités scientifiques si difficilement constituées, sont-ce des progrès ?

Afin de nous améliorer, ne faut-il pas tenter de sortir de l’opposition radicale entre bonne ou mauvaise nature humaine ?

La première a souvent nourri un idéalisme irresponsable, voire une déconstruction de notre civilisation, tandis que la seconde visait à la dépossession de notre liberté par le Léviathan et son échelle de gravité destructrice : bureaucratie et technocratie, autoritarisme, dictature,
guerre civile, totalitarisme, guerres régionales et mondiales, génocide.

S’agissant précisément de la guerre, on retiendra cette citation de Paul Valéry

« La guerre, c’est le massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent et ne se massacrent pas. »
Paul Valery
Paul Valery
Ecrivain, poète et philosophe

Pour tous les domaines, consulter fréquemment l’Atlas du monde réel      et encore celui du monde global      permet de mieux appréhender, grâce à de multiples cartes, notre monde dans les ressemblances, les différences, les éléments chaotiques, les faits massifs aussi.
Avant et après d’autres, David Rothkopf, professeur de relations internationales, prévient : six mille hommes dirigent six milliards d’êtres humains. 

Georges Corm, historien et économiste, explique comment se sont imposés les dogmes simplistes du néolibéralisme, divers faux débats et diversions, tellement distants des réalités et faits de la quasi-totalité des entreprises, les petites et les moyennes assumant, en France, de l’ordre de la moitié de l’emploi salarié et de la valeur ajoutée. Sans ignorer les liens
complexes de ce tissu entrepreneurial avec l’Etat, les services et entreprises publics, les grandes entreprises et grands groupes privés et ceux de l’économie sociale et solidaire, on peut s’interroger sur un débat public fortement déséquilibré dans le sens des plus vastes. 

Georges Corm plaide pour une « démondialisation » raisonnée des esprits et des systèmes économiques dans un monde ouvert, pour une économie solidaire et humaine par le rétablissement des cohérences spatiales, la fin des dogmatismes et la réhabilitation des valeurs d’éthique et d’équité dans l’enseignement de l’économie.

L’atout de l’espèce humaine : l’apprentissage ?

Pour sortir des idéologies, machines de guerre de toutes et tous contre toutes et tous, depuis des siècles, ne pourrions nous tenter de mettre en lumière que le grand atout de l’être humain réside dans l’apprentissage social ? 

Jugeons-en.

Génétiquement parlant, nous sommes à 60% identiques à des bananes, à 80% à des vaches et à 99% à des chimpanzés. Voilà pour l’humilité. Certes, le cerveau de l’homo sapiens est énorme. S’il ne pèse que 2% de notre masse corporelle, il consomme 20% des calories ingérées. Nombre de travaux scientifiques ne nous montrent pas tellement supérieurs aux chimpanzés et aux orangs-outans sur les registres du raisonnement spatial, du calcul, du
repérage des liens de causalité.

En revanche, nous semblons nés pour apprendre, pour nouer des liens et pour jouer. Le rougissement est la seule expression faciale propre à notre espèce. Rougir est une compétence sociale qui exprime une sensibilité aux autres et ouvre à la confiance et à la coopération. Même en guerre, une minorité des soldats tirent pour tuer, de 15 à 25%, selon les situations. De plus, seule l’humanité paraît avoir construit des machines, au point même de la remplacer dans nombre de travaux herculéens, jusqu’à promouvoir une civilisation des machines qui pourrait détruire la liberté humaine.

Sur ce point, sans oublier les puissants services rendus par la technoscience, ne devrait-on pas considérer, au titre de la démocratie, les contraintes que font peser sur l’immense majorité et au prix d’un stress massif des modifications, parfois instantanées, des temporalités, spatialités et savoirs vitaux. 

L’Internet des objets et la téléphonie mobile sont des disruptions phénoménales qui sont advenues sans que les utilisateurs y soient préparés dans la gestion de leur temps, de leurs relations humaines, de leur appréhension des espaces, de leur compréhension du fonctionnement de ces objets et de la distinction entre ce que les machines peuvent donner ou pas. 

Pour mémoire, la première session du Capes « Numérique et sciences informatiques » se
tiendra en 2022. L’enseignement optionnel de programmation a été supprimé en 1997, l’informatique étant considérée par les « décideurs » français de l’époque comme une mode.

Retrouvons un lointain passé. Il est vraisemblable que le mode de vie nomade des chasseurs-cueilleurs encourageait par nécessité la coopération. En revanche, on sait que la sédentarisation et la construction de villes ont poussé à l’oppression et à l’esclavagisme de quelques-uns : forts-en-gueule et meneurs sont devenus chefs puis rois, jusqu’à imposer le mythe qu’ils étaient élus des dieux et des dieux eux-mêmes. Pour mémoire, la notion de royauté de droit divin en France est instituée par les juristes, après la guerre de Cent Ans et la contestation de l’autorité de la monarchie. Jusqu’à la révolution de 1789, les rois de France reçoivent leur autorité directement de Dieu, sans l’intermédiaire de l’Eglise ni, bien entendu, par un contrat social avec le peuple.

Le pire hier et aujourd’hui…

Pour mémoire aussi, le code de Hammurabi, le plus ancien code juridique au monde, détaillait les peines encourues par quiconque aidait des esclaves à s’évader. Il faudra attendre 1981 pour que la Mauritanie soit le dernier Etat au monde à abolir l’esclavage.

Et d’ailleurs, force est de constater combien sont difficiles les luttes contre la grande criminalité, la traite des êtres humains, les trafics en tous genres.

Quant à la corruption, grâce en particulier à Transparency International, organisation non gouvernementale d’origine allemande fondée en 1993 qui possède des sections autonomes dans 110 pays, on sait globalement ce qu’il y à savoir, en dehors du registre des secrets d’Etat et des services spéciaux. 

qui est l'ennemi

Selon le Fonds Monétaire International, les pots-de-vin versés chaque année dans le monde représenteraient de l’ordre de 2% du PIB mondial et les détournements de fonds publics plus de 5% du PIB mondial, soit 2 600 milliards de dollars.

Les pertes mondiales imputables aux attaques informatiques ont augmenté de 50% par
rapport à 2018 pour se situer à 1 000 milliards de dollars. La moitié des internautes auraient été touchés, d’une manière ou d’une autre. Les meilleurs rapports abordent les coûts cachés de la cybercriminalité : temps d’arrêt des systèmes, efficacité réduite, coûts de réaction aux incidents, atteinte aux marques et à leur réputation.

Comme dans bien d’autres domaines de la vie, l’absence de préparation est alarmante.

Caroline Faillet, L’art de la guerre digitale. Survivre et dominer à l’ère du numérique

Il a fallu attendre juin 2021 pour que l’Assemblée générale des Nations unies tienne sa
première session spéciale sur la corruption.
Il y a une brutalité tragique des contradictions entre des efforts intenses de démocratie
participative et la faiblesse apparente des travaux et combats sur le gravissime des réseaux de la grande criminalité organisée, blanchiment d’argent à très grande échelle compris.
Comment ensuite s’étonner de l’érosion de la confiance des peuples dans l’Etat de droit, le respect des lois, la capacité à faire respecter les droits humains ?
En outre, corruption légale, le coût de nombre de campagnes électorales, aux Etats-Unis en particulier, fait la promotion de donateurs qui en attendent des décisions favorables à leurs intérêts. L’une des réactions constructives consiste à mobiliser les internautes, à les inciter à agir au sein du système, jusqu’au financement participatif de changements.
Condamner l’impunité et récompenser la responsabilité, n’est-ce pas le socle vital de notre communauté de destin ?

Refuser de telles questions et le débat sur les réponses confine à l’expression de bons
sentiments que l’on inflige à la majorité. Dans le meilleur des cas, c’est Tartuffe à la
manœuvre, usufruit et lutte des places comprises, sous couvert d’une sorte de religion humanitaire d’Etat postmarxiste, sous contrôle de juges et la prétention de construire le paradis sur Terre, dans une société liquide, cosmopolite, ennemie des corps intermédiaires et, finalement, des communs.
Sans prétendre que la démocratie serait naturelle, sans tomber dans le piège d’un
antiélitisme généralisé alors que la question centrale porte sur quelles élites, pour faire face à quelles situations, avec quelles ressources investies comment, ne doit-on pas conserver précieusement à l’esprit les effets corrosifs de l’abstention, du « à quoi bon ? », de l’ironie permanente à l’encontre des élus qui ne seraient jamais assez exemplaires ? N’est-il pas suspect de généraliser à tous les exemples de corruption de quelques-uns pour asseoir une prétention à les remplacer pour enfin faire le bien ?

Là encore, un minimum de mémoire laisse le souvenir d’activistes radicaux qui font une fin de sénateur ou de ministre. Servir ou se servir ? La question semble légitime. Quant au sens de l’intérêt national, que dire ? 
En France, en quelques années, des activistes ont réussi à prendre le contrôle de centres de recherches universitaires pour y imposer les théories de la déconstruction – genre, décolonialisme, racialisme, antispécisme, etc.
Toujours est-il qu’une enquête de l’IFOP – le regard des jeunes sur les enjeux sociaux en 2021 – montrait que désormais 41 % des 18-35 avaient adopté le concept de « racisme systémique », qu’ils étaient également 41 % à dénoncer le « privilège blanc » et pas moins de 21 % à déclarer ne s’identifier ni en tant qu’homme ni en tant que femme.
Quant aux devoirs éventuels, silence.
Nous nous laissons mener par la peur et l’incompréhension, la méfiance et les stéréotypes, et nous faisons des généralisations à propos de personnes que nous ne connaissons guère.

On peut amèrement regretter le temps perdu à se préparer physiquement et mentalement aux Temps modernes, à la déferlante informationnelle, en particulier. La situation du sujet contemporain, pris entre peur du futur et relations superficielles, inspire à l’anthropologue et ethnologue Marc Augé une forme de kit de survie et une boussole pour s’orienter dans notre temps.
En étudier la faisabilité ne s’impose-t-il pas ?
Au total, les auteurs réunis par Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, et Gilles Finchelstein, le directeur général de la Fondation Jean-Jaurès, sont fondés à s’interroger :
Une société fatiguée ? Complexité organisationnelle inouïe, incapacité fréquente de bien des organisations à coopérer, étiolement et mélancolie, épuisement des imaginaires, burn-out, dépression, charge mentale, fatigue démocratique aussi, lassitude et désertion.
Ils y plaident en particulier pour un traitement progressif des urgences sociales et vitales, en acte, et une à une. 
Pour sa part, Patrick Lagadec montre que « Le monde qui vient aura besoin de dirigeants exigeants, ouverts aux questions les plus insaisissables, préparés à inventer, avec d’autres qu’ils ne connaissent pas, sur des terrains qu’ils ne connaissent pas, et dont nul n’a les clés. » 

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Une philosophie laïque face aux préjugés, émotions et mythes ?

Toutes et tous, nous devons travailler sur nos préjugés et la qualité de nos émotions. Nous pouvons nous fonder sur l’observation commune que l’arrogance est déplacée au sein des micro-communautés et des associations de petite taille, si elles veulent être durables. Le sens de l’égalité y prévaut.

L’un de ces préjugés est ainsi résumé par Nicolas Machiavel : « On peut, en effet, dire généralement des hommes qu’ils sont ingrats, inconstants, dissimulés, tremblants devant les dangers et avides de gain. » 

Sans réduire sa pensée à cela, la séquence suivante a alors pu trop souvent s’imposer : qui veut le pouvoir doit s’en saisir. Il ne faut pas avoir de scrupules. La fin justifie les moyens. Si on se laisse faire, on se fait laminer par les autres.
De fait, les plus puissants présentent les mêmes tendances : impulsifs, égoïstes, imprudents, arrogants, narcissiques, grossiers (plus que la moyenne), infidèles, moins à l’écoute, moins attentifs au point de vue d’autrui, sans scrupule, ils ne rougissent pas et n’ont honte de rien.

Sur la base d’une vision négative de l’être humain, ils en concluent qu’il faut diriger,
espionner, manager, réguler, censurer et commander les gens. Et qu’ils sont eux-mêmes les seules personnes indiquées pour le faire, sans avoir à rendre de comptes.
En dépit de l’invention anglo-saxonne majeure des Checks and balances, l’organisation des pouvoirs et contre-pouvoirs, nous pouvons observer combien les réseaux aristocratiques de donateurs, lobbyistes, fabricants d’éléments de langage à visée clientéliste et même les tendances dynastiques perdurent.

Mais nous ne sommes pas obligés de croire aux slogans ni d’ailleurs aux justifications de pouvoirs exorbitants.

Au demeurant, il est un problème historique majeur : celui de la réussite, pendant une période d’une durée variable, de tous les prophètes armés. C’est dire la force des mythes – force confortée par la menace d’une violence armée – qui poussent des millions de personnes qui ne se connaissent pas à coopérer, jusqu’à leur propre destruction.
Dans la présente étape du développement de l’ère numérique qui permet un accès inouï à la plupart des archives et connaissances de l’humanité, le moins que nous puissions faire est de lutter, selon une philosophie laïque, pour un décodage des légendes, mystifications, dogmes de tous ordres contrevenant radicalement aux droits des êtres humains.
Le pouvoir dépouille les puissants de leur gentillesse et de leur humilité, qualités sur la base desquelles ils avaient parfois été choisis. Et dans certains cas, ces qualités n’étaient pas même présentes au départ.

Tel est l’apport fondamental de la ponérologie politique, l’étude scientifique et clinique de la genèse du mal, appliqué à des fins politiques, initiée par le psychiatre Andrew M.Lobaczewski (1921-2007). 

L’histoire, notamment celle du XXème siècle, montre combien toute dictature condamne les citoyens, contre leur conscience et leurs convictions morales, à collaborer avec le mal, ne serait-ce que par leur silence. Les priver de responsabilité revient à les réduire. Quelques-uns s’opposent, au péril et au prix de leur vie.

On peut mettre en exergue un autre point, apparemment banal.
Pour que les démocraties cessent de reculer après leur acmé de la dernière décennie du XXème siècle, deux conditions semblent essentielles à réunir : qu’elles cessent de pratiquer tant l’autodestruction que l’exportation de leurs valeurs ignorante des cultures des autres.

Ece Temerlkuran, journaliste exilée de Turquie et observatrice de nombre de dérives ailleurs, prévient, de manière saisissante : Comment conduire un pays à sa perte
De même, être particulièrement attentif aux observations et intuitions de l’écrivain franco-libanais Amin Maalouf paraît relever de la survie.

A titre d’illustration, si jamais dans l’histoire aucun autre pays que la Chine n’est parvenu à ce que tant d’êtres humains sortent de l’extrême pauvreté en si peu de décennies, est-ce une raison pour feindre d’ignorer la dureté du soft power et de la gouvernance de ses dirigeants et de son parti unique ?

Il en va de même pour les relations avec les Etats-Unis et la Fédération de Russie – sans toutefois oublier leur contribution historique déterminante. 
L’avenir du monde bascule en deux jours : le génie militaire du général Joukov préside à la contre-attaque des troupes sibériennes sur Moscou, le 5 décembre 1941 ; le 7 décembre, l’attaque japonaise contre la flotte américaine de Pearl-Harbour précipite les Etats-Unis dans la guerre.

Nous serions bien inspirés de tenir le plus grand compte de cette citation d’Edgar Morin :

« Une des plus grandes leçons de mes expériences, c’est que le retour de la barbarie est toujours possible. Aucun acquis historique n’est irréversible. »
edgar-morin
Edgar Morin
Sociologue

De fait, même si la paix progresse peu-à-peu dans le monde, faut-il rappeler que de 1496 av. J.-C. à 1861 apr. J.-C., soit 3 357 années, l’humanité n’aura connu que 227 années de paix ?

Quant à la France, depuis l’an 1200, elle a pris part à 185 batailles et en a gagné 132.
Telle est la terrible vérité des faits, à distance de nos croyances en ce qui nous arrange.
On aura à l’esprit qu’un fait peut être présenté de sept façons au moins. Il peut être affirmé, nié, passé sous silence, grossi, diminué, approuvé, désapprouvé.
Pour dialoguer, encore faut-il être deux. En ce qui concerne la géopolitique, même la notion fondatrice de réciprocité est souvent mise en cause, fragilisée. 

Les autocrates s’adaptent : ils utilisent de nouvelles techniques de censure pour restreindre la liberté des associations de défense de la société civile.
S’agissant des démocraties, depuis le 11 septembre 2001, la guerre contre le terrorisme a supplanté la promotion et la défense de la démocratie.

Dans les pays riches en ressources naturelles, les Etats disposent de revenus indépendants des recettes fiscales qui ont toujours généré une exigence de contrôle des gouvernés sur leurs gouvernants. 

Enfin, l’incapacité à assurer durablement la sécurité des personnes, la redistribution équitable des fruits de la croissance et des services publics de base profite paradoxalement aux autocrates.
Quant à l’avenir et sur un autre registre, la construction exaltée du transhumanisme – via la biologie de synthèse – et de l’apartheid entre une infime minorité de « dieux » et une immense majorité d’« inutiles » n’a rien de rassurant.

Alors, nous pouvons à nouveau recourir à ces pensées de Karl Popper :

« Nos démocraties occidentales – et surtout les Etats-Unis, la plus ancienne des démocraties occidentales – sont une réussite sans précédent ; cette réussite est le fruit de beaucoup de travail, de beaucoup d’efforts, de beaucoup de bonne volonté et avant tout de beaucoup d’idées créatrices dans des domaines variés. Le résultat, c’est qu’un plus grand nombre d’hommes heureux vivent une vie plus libre, plus belle, et plus longue que jamais auparavant (…)
Tous les jours, en revanche, j’entends gémir et pester contre le monde prétendument exécrable dans lequel nous sommes condamnés à vivre. J’estime que la diffusion de ces
mensonges est le plus grand crime de notre temps parce que c’est une menace pour la jeunesse, que l’on veut priver de son droit à l’espoir et à l’optimisme. Dans certains cas, cela mène au suicide, à la drogue ou au terrorisme. »

Karl Popper écrivait cela il y a bientôt trente ans.

Aujourd’hui, compte tenu des progrès des sciences cognitives, il serait peu excusable d’ignorer que l’accumulation d’attentes systématiquement négatives peuvent détruire des organisations entières – ce que l’on présuppose, c’est ce que l’on convoque -, que nous sommes capables de choisir des situations dommageables afin d’éviter un peu de honte ou de gêne, que le biais d’attribution de motivation extrinsèque existe – les autres n’agiraient que par appât du gain ou ne seraient mus que par le couple peur d’une punition-récompense. En management, il est indispensable de tenir enfin compte des 14 points du management et des 5 maladies mortelles pour les entreprises établis par le statisticien et
consultant international W. Edwards Deming.         A défaut, on sombre rapidement dans le management toxique manié par des leaders abusifs.

hors de la crise

Femmes et hommes de métier débordent d’idées. Ils ne sont pas entendus. Au nom des statuts et de la conformité aux formalismes de tous ordres. Sous objectivité proclamée, le mépris des diseurs à l’encontre des faiseurs : un immense gâchis humain…
Illustration. Le savoir-faire des 200 métiers soignants doit revenir au premier plan, car il n’y a rien de plus puissant que des professionnels qui font ce qu’ils font parce qu’ils ont envie de le faire. Encore faudrait-il ne pas multiplier des obstacles dissimulés sous une avalanche textuelle couverte par la démocratie représentative. Cette dernière pourrait améliorer sa crédibilité en testant systématiquement en amont la faisabilité, la cohérence avec le stock existant des lois et normes, et la véritable utilité sociale de nouvelles mesures.
Les sciences du danger, les cindyniques promues par Georges-Yves Kervern (1935-2008),         nous offrent notamment une faculté d’anticipation des déséquilibres, vulnérabilités, déficits, dissonances, dans les microsystèmes comme dans les macro-systèmes.
Evoquer aussi bien la défense en profondeur que la résilience sans avoir auparavant évalué les failles probables et constatées entre nos buts, nos valeurs, les données disponibles, les modèles en présence et les lois ne semble pas sérieux. Evidemment, il s’agit d’espaces réels et non de discours et de fonctions à occuper ou à créer. Ainsi, par exemple, numériser les procédures existantes dans les services publics sans s’interroger sur le vocabulaire, le style même, les perceptions des publics en question, conduit plus au pliage algorithmique qu’à l’appropriation. Faudra-t-il s’étonner des divers modes de rejet ? Ne pas vérifier à chaque étape les réactions d’un ensemble de citoyens non spécialistes qui pourraient être tirés au sort et en seraient d’accord, est-ce respecter la vie démocratique ?

La démocratie vivra à la mesure de l’observation d’un grand nombre de nos concitoyens que leurs avis sont pris en compte. Lorsqu’ils ne le sont pas, nous devrions savoir pour quelles raisons rationnelles. La démocratie n’est-elle pas mise en regard et en lien d’idées plus que d’images fabriquées par des communautés souvent factices ?
Il y a des fondamentaux sans lesquels la démocratie ne peut s’exprimer. Le premier réside dans l’enfance et l’éducation : il s’agit d’empêcher que le plus fort agresse le plus faible. Le b.a.-ba : on ne porte pas atteinte au corps de l’autre. Puis à ses sentiments, à son âme. Il en va ensuite de même de la violence verbale, y compris sous la forme de l’incise moqueuse, voire de l’interjection, qui pour brillante qu’elle puisse prétendre être sera interprétée pour ce qu’elle est généralement : une fin de non-recevoir méprisante.

Face au marketing politique, aux éléments de langage, aux communicants faiseurs de
présidents, à l’abus des métaphores guerrières et sportives qui exaltent la victoire, la supériorité sur les autres         , des qualités physiques et mentales d’exception, un entraînement aussi scientifique que massif et des gains individuels parfois exorbitants, les fondamentaux de la démocratie valent certainement d’être défendus, promus.
Peut-on s’accorder sur le fait que plus de démocratie, dès l’enfance, plus d’ouverture et
d’humanité, ce n’est pas facile ? Dans tous les domaines, les plus forts en quoi que ce soit tombent aisément dans les signes et symboles de la vanité. Alors, le meilleur peut engendrer le pire.

la corruption du meilleur engendre le pire

Alors, on créera toutes les divisions et plafonds de verre possibles pour demeurer dans un statut de supériorité, jusqu’à le transmettre à sa descendance.
La démocratie n’est pas la condition du développement économique. Le « libre marché » a généralement été planifié et imposé d’en haut. L’histoire des migrations rurales, partout dans le monde, manifeste l’interventionnisme de l’Etat, au-delà de la paupérisation des campagnes et des séductions de la ville et de la révolution industrielle.

Plus récemment, il en va de même de la financiarisation de l’économie, via les banques centrales et les politiques monétaires. Là encore, il ne serait pas raisonnable d’homogénéiser fictivement des millions d’entrepreneurs et d’entreprises, en France, sous l’unique vocable de « capitalistes ». Les faits économiques relèvent d’une forte diversité institutionnelle.

Parfois, ce sont les marchés et les techniques commerciales qui fonctionnent le mieux ; parfois, c’est l’Etat qui a la bonne solution ; souvent aussi l’économie sociale et solidaire présente de meilleurs équilibres, une meilleure intelligence des attentes humaines.  

L’esprit et la volonté d’équilibre et de rééquilibre proviennent moins d’une philosophie modérée que de la conscience de la diversité réelle de notre société. 

Ce qui est le plus précieux semble alors une base sociale solide de citoyens qui se reconnaissent comme tels et qui avancent ensemble, en se respectant.

L’économie humaine réagit contre celle du vol, du filoutage et du pillage, profondément ancrée dans l’histoire. 
Elle s’oppose à la société de consommation qui en est à dévorer par le fantasme la réalité corporelle même des femmes, des hommes et des enfants et leur autonomie psychique. Au demeurant, en exacerbant la libre circulation des biens, capitaux, idées et personnes, le marché efface des frontières dont la démocratie a besoin pour s’exercer : un territoire, un droit de vote, en particulier. 

Sous les interactions entre économie mondialisée, technologies accélérées, transformations sociales et psychologiques de toutes et tous et particulièrement des jeunes, les situations de crise prolifèrent.

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