Jean-Marie Fessler

Chroniques de l’IM, Jean Marie Fessler : Pratiques éthiques et pratiques démocratiques (1/3)


Print Friendly, PDF & Email

Jean-Marie Fessler

 

Docteur en éthique
médicale et en économie
de la santé, président du
conseil scientifique de l’Institut
Montparnasse, professeur associé
de Stanford, ancien directeur d’hôpital
et des établissements de soins de la
Mutuelle générale de l’Education nationale
et conseiller de son président. Il est auteur
ou co-auteur de nombreux ouvrages et
publications.

par Jean Marie Fessler (2)

(3)

(4)

(5)

(7)

(6)

(8)

(9)

(10)

(11)

(12)

(13)

(14)

(15)

(17)

(18)

(19)

(20)

(21)

(22)

(23)

(24)

(25)

(26)

(27)

(28)

(29)

(30)

(31)

(32)

(33)

(34)

(35)

(36)

(37)

(38)

(39)

(41)

(42)

(43)

(46)

(44)

(16)

(1)

PRATIQUES ETHIQUES ET PRATIQUES DEMOCRATIQUES…

Au changement d’année, face à une pandémie aux multiples impacts sur bien des dimensions de la vie, en campagne électorale nationale et dans un monde toujours en proie à de multiples conflits impliquant des forces d’Etat, des groupes armés ou encore les moyens de la corruption et du crime organisé, on souhaite que les ressources profondes de la réflexion et des pratiques éthiques nous aident à dessiner de meilleures voies d’avenir.

En démocratie, la meilleure voie n’est-elle pas de solliciter les avis du plus grand nombre possible de citoyens et de montrer de quelles façons on en tient compte ?

Tenter de réfléchir, d’analyser modestement, de proposer en quelques pages synthétiques, de contribuer à nourrir de véritables échanges sur ce qui est au cœur de nos vies, pratiques, engagements et encore aspirations quotidiennes et de long terme, n’est guère facile.

Aussi conscient que possible du caractère limité et provisoire de toute sélection de points de vue, on s’y essayera ici.

Activer notre boussole éthique guidera un cheminement dont le tracé aura été voulu simple et synthétique alors même que la nature des liens entre pratiques éthiques et pratiques démocratiques semble solliciter le recours à des références biographiques et bibliographiques considérables et à des analyses réellement multidisciplinaires.

Souvenons-nous…

Saluer la mémoire de celles et ceux qui ont combattu pour l’éthique et la démocratie, jusqu’au sacrifice de leur vie, et les engagements de celles et ceux qui les suivent, partout dans le monde, s’impose.

Au début de la pandémie, le secrétaire général de l’ONU António Guterres avait appelé, le 23 mars 2020, à un cessez-le-feu mondial immédiat : « Le monde entier affronte aujourd’hui un ennemi commun : le COVID-19. Le virus n’épargne aucune nationalité, communauté ou religion. Il attaque tout le monde sur son passage, implacablement. Pendant ce temps, les conflits armés continuent de faire rage dans le monde. » Puissances et puissants n’ont pas voulu ou su répondre à ce message. Le respect, l’amour, la liberté, la paix, la justice, l’équité, la tolérance, la responsabilité, l’honnêteté et la loyauté sont toujours et partout victimes des montées aux extrêmes qui procèdent à la fois de vainqueurs systémiques et de minoritaires en lutte des places.
Souvenons-nous.

 

Albert Camus (1913-1960), le 10 décembre 1957, prononce ceci :
« Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. Héritière d’une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd’hui tout détruire mais ne savent plus convaincre, où l’intelligence s’est abaissée jusqu’à se faire la servante de la haine et de l’oppression, cette génération a dû, en elle-même et autour d’elle, restaurer, à partir de ses seules négations, un peu de ce qui fait la dignité de vivre et de mourir. Devant un monde menacé de désintégration, où nos grands inquisiteurs risquent d’établir pour toujours les royaumes de la mort, elle sait qu’elle devrait, dans une sorte de course folle contre la montre, restaurer entre les nations une paix qui ne soit pas celle de la servitude, réconcilier à nouveau travail et culture, et refaire avec tous les hommes une arche d’alliance.      »

Comment être insensible à l’intense actualité d’une telle citation ?

Il en va de même avec Le Bilan de l’intelligence dressé par Paul Valéry (1871-1945), lors d’une conférence prononcée le 16 janvier 1935       à l’université des Annales, fondée en 1907 par Yvonne Sarcey (1869-1950).

« D’un côté, un passé qui n’est pas aboli ni oublié, mais un passé duquel nous ne pouvons à peu près rien tirer qui nous oriente dans le présent et nous donne à imaginer le futur. De l’autre, un avenir sans la moindre figure. Nous sommes, chaque jour, à la merci d’une invention, d’un accident, matériel ou intellectuel. »       (…) C’est le capitalisme des idées et des connaissances et le travaillisme des esprits qui sont à l’origine de cette crise. (…)       Ainsi l’action de l’esprit, créant furieusement, et comme dans l’emportement le plus aveugle, des moyens matériels de grande puissance, a engendré d’énormes événements, d’échelle mondiale, et ces modifications du monde se sont imposées sans ordre, sans plan préconçu et, surtout, sans égard à la nature vivante, à sa lenteur d’adaptation et d’évolution, à ses limites originelles. »

Dès 1935, Paul Valéry peut donc écrire :
« L’homme moderne s’enivre de dissipation. Abus de vitesse, abus de lumière, abus de toniques, de stupéfiants, d’excitants… Abus de fréquence dans les impressions ; abus de diversité ; abus de résonance ; abus de facilités ; abus de merveilles ; abus de ces prodigieux moyens de déclenchement, par l’artifice desquels d’immenses effets sont mis sous le doigt d’un enfant. »

Avant d’aborder ses observations et propositions en matière d’éducation, il peut conclure :

« Mais une des marques de la défaillance du caractère dans notre temps est de subordonner l’action au contrôle de l’action et de placer la défiance et la délibération un peu partout.»
Paul Valery
Paul Valery
Ecrivain, poète et philosophe

Paul Valéry précise plus loin : « Je vous l’ai déjà dit : dès qu’une action est soumise à un contrôle, le but profond de celui qui agit n’est plus l’action même, mais il conçoit d’abord la prévision du contrôle, la mise en échec des moyens de contrôle. »

Il s’interroge et nous interroge : « Qu’en résultera-t-il pour la valeur de la culture ? Que deviendront l’indépendance des esprits, celle des recherches, et surtout celle des sentiments ? Que deviendra la liberté de l’intelligence ? »

Un peu de lucidité…

A l’exception notable de milliers d’innovateurs sociaux épris d’entreprendre autrement, il n’est pas évident que nous ayons sensiblement progressé dans la mise en œuvre des propositions de Muhammad Yunus : « Vers une économie à trois zéros. Zéro pauvreté. Zéro chômage. Zéro émission carbone. »

Des conditionnements publicitaires – les dépenses publicitaires mondiales sont prévues pour doubler de 2016 à 2024, de 500 à 1 000 milliards de dollars – à la novlangue constituée de formules et locutions préfabriquées, il est permis de douter que nous soyons capables de répondre à cette demande d’Emmanuel Kant, en 1784 : « Sapere aude, aie le courage de te servir de ta propre intelligence ! Voilà donc la devise des lumières. »

Dans un pays où l’on applique déjà 400 000 normes et autant d’exigences imposées à nos existences, on peut aussi penser que les habituelles vagues réformistes de la gouvernance par les textes et les nombres ne sont guère appropriées à la construction la plus largement partagée de réalités politiques, économiques et sociales en phase avec les enjeux et questions de notre temps.
S’agissant précisément de l’état de santé de notre démocratie, plusieurs observations s’imposent depuis trop longtemps : effritement de l’engagement au sein des partis politiques traditionnels, défiance à l’égard des élus hormis de nombreux élus locaux, abstention électorale de plus en plus marquée, perceptions d’un Etat qui serait faible avec les forts et fort avec les faibles, promesses dont bien des citoyens ont des raisons de constater qu’elles ne sont guère tenues, inquiétudes largement partagées sur les capacités à relever les défis d’aujourd’hui : le travail, la sécurité et la protection, la construction d’une économie robuste, plus équitable dans le partage de la formation de valeur et plus respectueuse de l’environnement qui conditionne la vie humaine, en particulier.
Un peu de rationalité aidera à distinguer les faits des descriptions apocalyptiques globalisantes du passé, du présent et de l’avenir qui font l’impasse sur les capacités humaines d’association, coopération et mutualisation.

Qu’il s’agisse de l’Etat, des services publics, des entreprises privées commerciales et de celles de l’économie sociale et solidaire, toutes les constructions sociales doivent faire face à l’entropie, soit la désorganisation et l’imprédictibilité inhérentes à la complexité croissante, qui provient de l’injection massive d’informations, de la liberté et de la volonté d’émancipation       , des innovations de tous ordres, notamment.

Lucidité, encore : en nombre de pays comme en population, la démocratie est minoritaire dans le monde. Sur 167 pays classés selon un indice de démocratie        et dans l’ordre du nombre de citoyens concernés, la République populaire de Chine est au 151ème rang, la République de l’Inde au 53ème, les Etats-Unis d’Amérique au 25ème, la République d’Indonésie au 64ème, la République fédérative du Brésil au 49ème et la République fédérale du Nigéria au 110ème.
De telles comparaisons sont toujours difficiles à établir. On connait la diversité régionale, linguistique, culturelle, historique des plus vastes pays.
Au total, les pays les plus et les mieux démocratiques sont la Norvège, l’Islande, la Suède, la Nouvelle-Zélande et le Canada.
La République française, le 22ème pays sous la dimension démographique, se situe au 24ème rang sous celle de la démocratie, classiquement définie comme le régime politique dans lequel tous les citoyens participent aux décisions politiques, au moins par le vote.

Les critères portent notamment sur les élections libres et équitables, hors clientélisme et confessionnalisme, une culture politique propice à l’épanouissement de la démocratie, un fonctionnement satisfaisant du gouvernement, un pouvoir judiciaire indépendant et des décisions judiciaires exécutées. La démocratie requiert vigilance intellectuelle, réel désir de s’informer, capacité à distinguer le vrai du faux, notamment.

Des manifestations de masse et des propositions…

Faut-il rappeler qu’au cours des dix dernières années, plus de 90 pays ont connu des manifestations de masse ? 

Des millions d’entre nous sont descendus dans la rue, en dehors des affiliations, médias et leaders traditionnels, simplement via les réseaux sociaux et des assemblées informelles. Aurait-on oublié les Printemps arabes de 2011, en particulier ?

Loïc Blondiaux, professeur de sciences politiques, précise : « Mouvements pour le climat, Gilets jaunes        , mouvements des places, expériences municipalistes, villes en transition, communs partagés dessinent des alternatives et rappellent qu’il n’y a démocratie que là où des citoyens s’associent pour dépasser leurs oppositions et revendiquer le pouvoir de se gouverner eux-mêmes. » Il poursuit : « A leur suite, nous n’avons plus d’autres choix désormais que d’expérimenter des imaginaires et des formes de pouvoir capables de redonner à l’action politique la légitimité et l’efficacité qu’elle a perdues. » 

Au nom de la gestion par consentement et de la communication non violente, Patrick Viveret, philosophe et haut fonctionnaire, propose : « Il serait utile d’appuyer la proposition du réseau international des convivialistes en vue de la création d’un Parlement citoyen mondial composé d’une part d’une assemblée des peuples et de l’autre d’un conseil des sagesses ou des consciences. A l’occasion de tout débat au sein d’instances démocratique, il devrait être organisé avant tout vote une « construction de désaccords » fondée sur la distinction entre malentendus et vrais débats afin que le vote lui-même, s’il avait lieu, privilégie des majorités qualifiées. »

Quelques mots reliés à un Conseil des sagesses ou des consciences…

Afin d’y parvenir et compte tenu de l’influence de nos peurs, pulsions, caractères, habitudes et émotions sur nos choix et actions, il y a fort à penser qu’un conseil des sagesses reprenant celles de toutes les civilisations pourrait s’exprimer ainsi : « Nourris ce qu’il y a de bon, de juste, de lumineux en toi. Affame ce qu’il y a de mauvais, de négatif, d’obscur. »

Le conseil poursuivrait dans la veine de la culture de l’effort et de la créativité, celle de l’émerveillement, de l’étonnement à rebours de l’insensibilité et de l’indifférence. D’autres sages feraient ensemble chorus sur la culture de la douceur, la bonne humeur, la gaieté et l’humour ; et d’autres encore sur la culture de la confiance.

D’autres insisteraient sur la culture de la générosité, du courage, de la bienveillance et de la bonté, qui détourne l’esprit de l’obsession des défauts des autres.

Puis viendraient les sages orientés sur la culture de la recherche de la vérité, l’ignorance n’étant jamais de bon conseil ; et aussi la culture de la souplesse et de la reconnaissance de ses erreurs.
Sur la dimension de la culture de la justice, les sages nous appelleront à distinguer l’injustice qui vient des hommes qui est à combattre de celle que nous percevons de la vie et d’une distribution étrange, pour le moins, des dons, de la santé, des hasards temporels, géographiques et sociaux de la naissance, de la destinée même.

Les sages nous inciteront à cultiver l’humilité, le contentement et la sobriété, la distinction entre l’utile et le futile, la gratitude, la prudence et la tempérance, la patience et la persévérance.
Les sages insisteront fermement sur l’esprit de service et la culture de la tolérance. Ils expliqueront que l’esprit de tolérance ne signifie pas que tout se vaut. La démocratie vaut mieux que la tyrannie, la justice que l’injustice, l’amour que la haine. 

« Mais il y a parfois des manières différentes de vivre et de comprendre certaines vérités universelles, sans pour autant les contredire. »

S’agissant des vérités ultimes, celles qui concernent Dieu ou l’Absolu ou l’Eternité, par définition nul ne peut en avoir une claire compréhension, nul ne peut prétendre les posséder, car elles échappent à notre entendement.

Les postures dogmatiques, toujours des avatars du pouvoir de certains, sont refus de la vie et des autres, nous diront les sages.

Si les espoirs de réinvention de la démocratie sont présents dans de fréquentes et massives manifestations de dénonciation, certains sages nous orienteront sur l’analyse de leurs résultats. Ces derniers sont-ils à la hauteur des attentes ? 

Il est vraisemblable que l’adhésion à un potentiel de démocratisation des nouvelles technologies de communication et à celles de la démocratie directe a été souvent débordée par l’improvisation, la complexité réelle des problèmes, la difficulté, au-delà du « non » et de la protestation, à fédérer autour de projets constructifs.

Ne doit-on au moins se poser ces questions ? Nos méthodes de travail social seraient-elles en cause ?

Afin de travailler en profondeur les façons de poursuivre le tissage démocratique, à toutes les échelles, les références bibliographiques de ce texte et de bien d’autres pourraient faire l’objet d’un partage substantiel, d’une lecture mutualisée permettant d’en mettre en lumière les observations et propositions majeures, les synthèses historiques, les meilleures approches épistémologiques, méthodologiques, scientifiques, notamment. 

Au titre d’une écologie de la rivalité et de la violence, en particulier. 

Au titre aussi de cette citation d’Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944) : 

« Une démocratie doit être une fraternité ; sinon, c’est une imposture. »
Antoine de Saint-Exupery
écrivain, poète, aviateur

Et la fraternité ?

Alors, le titre du livre le plus court peut-être d’Edgar Morin est saisissant : “La Fraternité, pourquoi ? Résister à la cruauté du monde.”

« Répétons-le sans cesse : tout ce qui ne se régénère pas dégénère, et il en est ainsi de la fraternité. »

Alors même que nous avons toutes et tous en commun d’être né, de vivre et de savoir que nous mourrons ; d’être confrontés, dès l’enfance, aux dualismes Coopération/Conflit, Concorde/Discorde, Union/Dispersion, Fraternité/Rivalité.
L’association et la symbiose font face à la prédation et au parasitage.
L’individualisme rime avec autonomie personnelle, responsabilité, créativité, émancipation.

La concurrence et la compétition stimulent, certes.

Mais au-delà d’un certain seuil variable, l’agressivité, la cupidité, l’égoïsme, les conflits, la dégradation des solidarités, l’oppression liquident le « Tu » et le « Nous » et déclenchent des vagues de ressentiment        . L’espèce humaine sait cela depuis des milliers d’années. Aujourd’hui, nous savons que d’énormes machines techno-économiques colonisent les esprits et les pouvoirs politiques, imposent à la société des impératifs qui ne font jamais l’objet d’un débat démocratique précis. Il en va ainsi de multiples règles et algorithmes.

Malheureusement aussi, les solidarités sélectives – même celles promues par les organisations syndicales et les organisations de l’économie sociale et solidaire qui se consacrent à une part précise de la population, leurs mandants – ont pu nourrir certaines inégalités avec le reste de la population.

Et Jean-Pierre Dupuy de nous inciter ainsi à ouvrir les yeux : « Lorsque la fièvre concurrentielle s’étend à la planète entière et que certains, à ce jeu, perdent systématiquement, il est inévitable que ce mal qu’est le ressentiment – quel que soit le nom qu’on lui donne : orgueil, amour-propre blessé, envie, jalousie, passion haineuse, etc. – produise des ravages. La philosophie politique contemporaine semble complètement désarmée par rapport à cette vérité toute simple. »

Alors, Périclès (vers 495 av. J.-C. – 429 av.), dans le texte de Thucydide (vers 460 av. J.-C. – 400-395 av. J.-C.), prend la parole : « Parce que notre régime sert les intérêts de la masse des citoyens et pas seulement d’une minorité, on lui donne le nom de démocratie. »
Ainsi, intérêt général et démocratie sont-ils liés.

Il demeure que le lien si fortement posé par Antoine de Saint-Exupéry entre démocratie et fraternité incite à soumettre ce développement.
Karl Popper (1902-1994), philosophe des sciences, ouvre ainsi son essai, « Observations sur la théorie et la pratique de l’Etat démocratique » : « Il exista à Athènes, à partir de 530 av. J.-C., un marché comme il n’y en avait nulle part ailleurs : c’était un marché libre des livres, un lieu où l’on vendait des livres manuscrits présentés sous forme de rouleaux de papyrus.
Les premiers livres mis en vente furent les deux grands poèmes épiques d’Homère, l’Iliade et l’Odyssée. »

Après cet extraordinaire rappel, Karl Popper précise à l’égard de ceux qui s’intéressent aux idées, les intellectuels :
« L’extermination d’une masse au nom d’une idée, d’une doctrine, d’une théorie – c’est là notre œuvre, notre invention : une invention d’intellectuels.

Si nous cessions de dresser les hommes les uns contre les autres – souvent avec les meilleures intentions -, même si nous nous en tenions là, ce serait beaucoup. »

Tribu, clan, nationalité, race, sexe, classe sont utilisés à outrance et propulsés par la certitude d’avoir raison, alors que nous sommes tous susceptibles de nous tromper, seul et en groupe. 

En témoigne l’histoire de tous les modèles paradisiaques successifs d’hommes nouveaux imposés, jusqu’aux plus contemporaines déconstructions de tout et des autres.

Et l’homme d’Etat Michel Rocard (1930-2016) nous rappelle sans détour : « … la politique, c’est grave. »

Le philosophe Abdennour Bidar peut conclure ainsi :

« (…) la fraternité nous ramène à l’essence même de notre humanité, c’est-à-dire à l’évidence première que nous ne sommes rien les uns sans les autres. Voilà en quel sens elle est sacrée, c’est-à-dire indiscutable et indispensable. » 

Ses dix propositions pour une France fraternelle méritent de profonds et véritables débats.

L’optimisme de l’action

Pour autant que l’on y soit attentif, notre époque connaît une floraison d’initiatives créatives locales.
En dépit des lourdes difficultés de financement et de mise en œuvre, des entrepreneurs, élus, agriculteurs, acteurs associatifs privilégient délibérément l’optimisme de l’action et la persévérance.
Cette démarche est ainsi résumée par Jean-Louis Etienne, médecin et explorateur : « Pour entraîner un peuple, il faut montrer qu’il y a un chemin. Cette phrase dit en creux qu’il est impossible de mobiliser en disant « tout est foutu, il faut changer de paradigme. » Trop compliqué, trop intellectuel, trop d’inertie, globalement irréalisable. C’est contre-productif d’emmener ainsi des millions de personnes dans les culs-de-sac de fausses solutions globales irréalistes. Cela donne à ceux qui ne font rien l’occasion de se conforter en pensant que plus rien n’est possible car ce chantier planétaire nous dépasse. »
Et de poursuivre :
« Heureusement, il y a des événements sociétaux qui font émerger des personnes, des situations, des rencontres. Au-delà du champ politique, des emplois se créent autour de valeurs humaines.
L’entraide, l’envie de créer du lien, d’apporter du soutien, de réduire les différences, de donner à chacun sa chance, ou d’échanger des compétences émergent d’acteurs sociaux libres et responsables. »
Alors, les plus vastes organisations s’honorent lorsqu’elles soutiennent rapidement, font connaître et travaillent sur de possibles extensions.

Humanité, histoire optimiste de Rutger Bregman, écrivain et historien, porte sur une idée forte : « La plupart des gens sont des gens bien. »

humanité histoire optimiste

D’ailleurs, partout dans le monde, sous la pandémie de Covid-19, gestes de solidarité et de coopération ont été multipliés. Que l’histoire de la pandémie les retiennent à leur hauteur est une autre question. Médecins, soignants, acteurs du fonctionnement des réseaux techniques vitaux, non sans danger pour eux-mêmes, travaillent formidablement.

Le modèle économique de la société médiatique, nombre de réseaux sociaux compris, étant malheureusement fondé sur la mise en exergue des exceptions, assez généralement négatives, on se demandera si les indispensables retours d’expérience officiels d’une telle mégacrise mondiale seront suffisamment représentatifs d’une capacité de mettre en lumière tant de fragments de réalités vécues et d’une volonté d’anticiper et de faire mieux.

En revanche, une conception systématiquement négative des peuples qui seraient massivement composés d’animaux égoïstes qu’il faudrait donc dresser, contrôler et réguler est l’assise de toutes les menées contre la démocratie.

L’examen des curriculum vitae des dirigeants et puissants de la planète met trop rarement en évidence qu’ils partageraient profondément et sincèrement une vision humaniste.

Peut-on passer sous silence cette citation de Peter Sloterdijk dans son livre, paru en 1999, “Règles pour le parc humain” :

« La domestication de l’homme par l’homme est le grand impensé devant lequel l’humanisme s’est voilé la face depuis l’Antiquité jusqu’à présent. » ?

Regles-pour-le-parc-humain

De la complexité des problématiques à la fascination pour des modèles d’ordre hiérarchique reconstruits du passé laissent de côté tant d’erreurs et de fautes inhérentes à l’entre-soi, de manipulations des foules, de peurs exploitées.

Bref, il y aurait ceux qui auraient la bonne « vision », qui sauraient mieux que l’immense majorité des autres ce qui est bon pour elles et eux, dans tous les domaines. L’argument méprisant adverse est toujours celui de la stupidité des autres et de son complément sous forme d’allusion dédaigneuse aux choses sérieuses qui se passeraient toujours ailleurs.

A notre sens, l’ère numérique et l’accès tellement facilité aux personnes, faits et données condamnent une telle « vision ».

De quelques handicaps nationaux…

Encore faudrait-il que les ouvertures à de nouvelles pratiques démocratiques ne soient pas systématiquement entachées par des handicaps français, décrits depuis des siècles parfois, tels que la culture de l’affrontement, le polémisme, l’irréalisme ou encore le réglementarisme. 
Si l’une des plus belles ouvertures à l’autre est « Prends place », l’expérience trop commune est bien « Reste à ta place… ! »,

 

Reste-a-ta-place

Les données et ordres de grandeur qui suivent devraient interroger.
Avec un élu pour 100 habitants, plus de 600 000 au total, du local au national et à l’Union européenne, la France est théoriquement le pays le plus démocratique au monde. On doit s’interroger : qui sont les candidats, à la suite de quels démarches et processus, qui sont les électeurs et qui sont les élus et qui représentent-ils ? Globalement, bien des travaux et enquêtes permettent de le savoir. Encore faut-il en tirer des leçons, explicitement.

Ainsi, Gérard Mermet, sociologue et auteur de Francoscopie        depuis 1985, rappelait que trois Français sur quatre estiment aujourd’hui que la démocratie ne fonctionne pas bien en France et que leurs idées ne sont pas bien représentées.

francoscopie-2030

Libérer l’initiative et son immense potentiel…

Pendant ce temps, l’ordre établi dans le monde poursuit à grande vitesse sa course folle de pollution et de destruction. 

La propriété intellectuelle conditionne alors le futur, en ce sens que pour renouveler le modèle dominant il faut libérer l’initiative individuelle. Des coûts d’accès très élevés donnent à quelques grands groupes et superstructures étatiques le pouvoir de bloquer une large part des innovations. 

C’est une évidence si l’on prend en compte que 90% des données qui existent dans le monde ont été produites au cours des deux dernières années, sans être traitées à due proportion et utilisées au titre de bien commun, loin s’en faut.

Selon le Pr. Alain Souloumiac, spécialiste des standards, inventeur en optoélectronique, expert législatif européen, la directive européenne 2019/790 est une occasion à saisir.
Son livre, Le Titre souverain         introduit une solution majeure aux startups et ne soutient que la création qui améliore l’environnement.

Alain Souloumiac met en évidence que tous les êtres humains sont des créateurs. Il s’agit d’un immense potentiel aujourd’hui largement bloqué ou pillé, selon les cas.
Ainsi, les grands défis de notre temps qui concernent la plupart des êtres humains – réchauffement climatique, relocalisation, dette publique, investissement et plein emploi – sont-ils empêchés d’être relevés de manière démocratique, avec d’autres contributions que celle des soumissions aux ordres de quelques un.e.s.

Le Titre souverain décrit la méthode pour rédiger un titre de propriété sur une idée créatrice et l’enregistrer en Contenu Protégé sur la Blockchain, sans dépenser d’argent. Il décrit aussi comment ce titre peut devenir souverain, c’est-à-dire s’imposer à tous, dans le temps et l’espace.

Quant à la directive européenne 2019/790, elle empêche les géants du numérique de mettre en ligne des Contenus Protégés sans licence préalable de leurs auteurs.

A défaut d’avoir manifesté à temps de l’intérêt pour les débats d’infoéthique – pourtant soutenus par l’UNESCO – appliqués au numérique et aux algorithmes, dont ceux qui gouvernent le financement de la santé publique notamment, les institutions devraient s’intéresser maintenant aux travaux d’Alain Souloumiac.

Retour aux handicaps nationaux…
Sans que l’on dispose d’une liste actualisée officielle, on peut dénombrer de l’ordre de 360 impôts, taxes et cotisations différents. En 2014, l’Inspection générale des Finances a dénombré 192 taxes à faible rendement .
Naturellement, des « concepts » tels que « additionnel » et « spécial » sont bien représentés. On recommandera au lecteur « les taxes de trottoir », « la taxe sur les inhumations », « le droit annuel de francisation et de navigation en Corse », parmi tant d’autres. Etat stratège ? Etat agile et moderne ?

Il faudra le savoir-faire du magistrat Charles Prats pour apprendre que nous finançons 75 millions d’assurés sociaux pour 67 millions d’habitants et que, chaque année, la fraude sociale et fiscale pourrait représenter 100 milliards d’euros, soit l’équivalent de toutes les dépenses d’hospitalisation. Ne s’agit-il pas d’une arme de destruction massive de la solidarité ?

Quant à la santé publique et à la régulation des professionnels et organisations de santé, le ministère des Solidarités et de la Santé dénombre 34 agences et opérateurs, en sus des Agences régionales de Santé et de la Caisse nationale d’Assurance maladie. Quelle production de règles et d’instructions constituant une énorme industrie de la justification !
Sur ce thème du tunnel technocratique et du lissage du réel, citons le Pr. Jean-Paul Escande :

« Vous avez décidé que contrôler les professionnels avait plus d'importance que faciliter leur activité. Où avez-vous vu, sinon en régime autoritaire et totalitaire, que l'on dresse des statues aux contrôleurs ? En démocratie, le professionnel, s'il doit se laisser contrôler, doit demeurer décisionnaire, refuser de se soumettre à des contrôles vexatoires le traitant, a priori, en suspect (...) Tel est, en effet, le péché mortel de l'administration : croire que les données "saisies" à la base, puis distillées progressivement par les alambics montées en série de commissions en enfilades finiront par accoucher d'idées neuves. »
jean paul escande
Pr. Jean-Paul Escande
médecin

Au total, qui comptera les frais de fonctionnement de la « maison institutionnelle France » ? Est-on en droit de poser la question des services rendus ?
L’usage de la moindre application d’analyse sémantique en dit long sur les dimensions de cette tuyauterie fiscale, administrative, juridique, financière et punitive géante.

Force est, semble-t-il, d’adhérer à cette citation du Pr. François Grémy, l’un des fondateurs de l’informatique médicale et de la santé publique :

« Il n’y a pas lieu de désespérer de l’éthique des personnes. Par contre, l’éthique des institutions est quasi introuvable : tout membre de l’une d’entre elles se croit un devoir sacré de la défendre contre les empiètements réels ou supposés de la voisine (…) il défend une structure dont il ne discute pas la dignité quasi ontologique. »
francois-gremy
Pr. François Grémy
médecin, physicien, biostatisticien, informaticien et professeur des universités

La culture des quelques 500 personnes qui dirigent la France, très lourdement juridique, – Conseil d’Etat, Cour des comptes, Inspection des finances, presque tout est dit -, avec trop peu de culture scientifique et technologique, les porte, semble-t-il, très jeunes, à ne faire confiance à personne et à juger les autres à travers les lunettes d’une culture pseudo-mondialisée, top-down et éprise d’agrégats macro-économiques qui ne disent rien de notre vie réelle.
Sûrs d’eux-mêmes et dominateurs, ils n’anticipent jamais rien et ne prennent pas la peine de rendre compte de manière compréhensible de deux éléments majeurs en démocratie.
Le premier est : Que fait-on de l’argent prélevé sur les entreprises et les citoyens ?
Le second est : Quelle est la situation géopolitique, économique, financière, sociale et environnementale réelle de notre pays, dans le monde tel qu’il est et auquel nous sommes liés ? La communication officielle confuse, souvent contradictoire et peu synthétique nous laisse mal armés face aux nombreuses sentences idéologiques extrémistes et fausses nouvelles – fake news – qui contribuent à la francophobie – French bashing – et à notre démoralisation. Là encore, nous sommes prévenus.
Quant à la « bienveillance », elle est marginale, à l’exception du monde associatif auquel 13 millions d’entre nous contribuent.

Ne serait-il pas juste de souligner, parfois, la contribution de celles et ceux qui permettent, depuis cinquante ans, une réduction réelle des inégalités ?
Selon France Stratégie, au sein de l’Europe, les inégalités primaires ne sont pas particulièrement élevées en France et la redistribution les réduit plus fortement en France qu’en médiane européenne                                                                       . Les prestations sociales – aides au logement, minima sociaux, allocations familiales, notamment – contribuent pour deux tiers à la réduction des inégalités et l’impôt sur le revenu acquitté par moins de la moitié des foyers fiscaux pour un tiers.

Pour autant, on sait qu’à 35 ans un homme cadre supérieur a une espérance de vie de 49 ans, un ouvrier, de 43 ans, soit six ans d’écart. Chez les femmes, la différence est deux fois moindre. Il faut donc travailler sur l’espérance de vie en bonne santé, les inégalités portant sur la qualité de soins et la prévention à tous les âges de la vie.

Mais est-il démocratique de rarement évoquer les contributions à des réussites ?
Ce qui ne ferait pas oublier les fragilités à l’international et les difficultés inhérentes aux exportations, notamment.

Print Friendly, PDF & Email
0:00
0:00