L’engagement historique de la mutualité dans “L’éducation populaire”

Charlotte Siney-Lange, historienne, est membre du Conseil Scientifique de l’Institut Montparnasse. Elle enseigne à l’URCA, à Paris I et à l’université du Maine. Elle est également chercheure associée au Centre d’histoire sociale des mondes contemporains. Elle est l’auteur de A l’initiative sociale, les grands combats de la MGEN (Paris, Presses du Châtelet, 2015) et de La Mutualité, grande semeuse de progrès social (Paris, La Martinière, 2018).

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L’ENGAGEMENT HISTORIQUE DE LA MUTUALITE DANS L’EDUCATION « POPULAIRE »

Parler d’éducation populaire en mutualité peut paraître à première vue impropre, si l’on s’en tient à la définition de l’éducation populaire comme un mouvement, essentiellement associatif, construit autour de « l'ensemble des pratiques éducatives et culturelles qui œuvrent à la transformation sociale et politique, travaillent à l'émancipation des individus et du peuple, et augmentent leur puissance démocratique d'agir » (Christian Maurel, Éducation populaire et puissance d'agir. Les processus culturels de l'émancipation, Paris, Éditions L'Harmattan, 2010.)

De grands noms s’imposent dans ce puissant courant forgé au cours du XIX e siècle, et en premier lieu la Ligue de l’Enseignement, fondée en 1866 par Jean Macé pour promouvoir l’école laïque, gratuite et obligatoire. Avant toute chose, il est donc fondamental de circonscrire ce que l’on entend par le terme d’éducation populaire avant de le mettre en lien avec le mouvement mutualiste.

Circonscrire l’éducation populaire s’avère néanmoins complexe, étant donné le caractère multiforme et mouvant de cette notion, en fonction de son contexte historique et géographique ; sa définition est même considérée comme impossible par certains auteurs « du fait de la multiplicité des acteurs, de leurs statuts, et de leurs domaines d’intervention ». Pour autant, ses fondements demeurent caractérisés par « la finalité transformatrice de la société, l’objectif de contribuer à l’émancipation individuelle et collective, l’attachement à une pédagogie active reposant sur le principe que chaque personne est porteuse de savoirs, tous étant sachants et apprenants, la reconnaissance du droit à l’expérimentation, au “tâtonnement” dans son rôle de laboratoire de l’innovation sociale, le portage des actions par
des structures à but non lucratif dès lors qu’elles s’inscrivent dans une visée d’intérêt général, l’attachement au développement de la qualité de vie sur les territoires »
 (Christian Chevalier et Jean-Karl Deschamps, L’éducation populaire, une exigence du 21 e siècle, rapport du Conseil économique, social et environnemental, 2019.)

Du point de vue historique, il semble maladroit de parler d’éducation populaire en
mutualité dans son acceptation stricte. En revanche, des actions d’éducation sanitaire, de sensibilisation et d’information sont initiées de longue date par les groupements mutualistes dans le cadre d’une visée plus globale de prévention des risques sociaux.

Dès le XIX e siècle, des conférences sont organisées dans le but de diffuser des notions d’hygiène et de santé publique auprès des adhérents. En 1869, la Société dijonnaise d’assurance mutuelle pour les cas de maladie et d’accident fait appel à l’un de ses médecins pour vanter les vertus de la vaccination devant les adhérents réunis en assemblée générale.
Un peu plus tard, au début du XX e siècle, la Fédération mutualiste de la Seine organise des conférences populaires, qui s’emploient à prodiguer des conseils et des instructions sur l’hygiène sociale auprès d’un large public. Il s’agit de contribuer à limiter la propagation des maladies, et en premier lieu les fléaux sociaux – tuberculose, alcoolisme et syphilis –, à assainir les logements ou encore à lutter la mortalité infantile.

On se situe dans une ambition essentiellement préventive, elle- même liée au courant hygiéniste, en plein essor dans la société de la Belle Epoque. Ce discours n’est d’ailleurs pas dénué d’une dimension moralisatrice, consistant à culpabiliser l’individu de ses maux, sur le modèle prégnant parmi les acteurs de santé de l’époque.

Historiquement, l’information sanitaire représente donc une activité fondamentale
pour le mouvement mutualiste. Elle s’inscrit dans une politique de prévention, qui vient compléter et enrichir ses missions traditionnelles : la prévoyance, mais aussi l’action sanitaire et sociale déployée au travers d’une gamme de plus en plus vaste d’œuvres sociales mutualistes, telles que les pharmacies, les dispensaires, les cliniques, les sanatoria ou les maisons de retraite et de repos. Cette mission est d’ailleurs réaffirmée par l’ordonnance du 19 octobre 1945, qui confie à la mutualité « la prévention des risques sociaux et la réparation de leurs conséquences, l’encouragement de la maternité et la protection de l’enfance et de la famille [et] le développement moral, intellectuel et physique de leurs membres » (Extrait de l’ordonnance du 19 octobre 1945.) 

Sans doute cet investissement dans le protection de la santé des individus peut-il être interprété comme une forme d’éducation populaire, si l’on estime que les « mutuelles (…) sont des acteurs de l’éducation populaire quand elles agissent sur des champs de formation ou de mobilisation émancipateurs » (Ibid.) , et si l’on considère la santé comme un élément d’émancipation.

Cette activité prend une place particulière à la MGEN, qui s’explique certainement par
l’origine enseignante de la très grande majorité de ses responsables.
A la fin des années 1960, dans la foulée de son action militante en faveur de la contraception, sous la forme de consultations mises en place en 1961 de façon illégale au sein de son centre de santé de Paris, est engagée une action de formation et d’information sur l’éducation à la sexualité : elle est menée sous la houlette de médecins de son centre de santé parisien, qui parcourent bientôt la France entière pour former les enseignants ou les parents d’élèves sur un sujet totalement tabou à l’époque. 

Ces actions, menées en partenariat avec d’autres acteurs – notamment le Groupe national sur l’information et l’éducation sexuelles (GNIES), dont la MGEN figure parmi les membres fondateurs en 1969, et le Mouvement français pour le Planning familial (MFPF) – conduiront à la publication des premiers manuels d’éducation sexuelle, puis à son insertion dans les programmes scolaires. Sans être seule dans ce combat, la MGEN joue, on le voit, un rôle clé dans la diffusion d’une éducation à la sexualité, et plus globalement dans l’évolution des mentalités.

L’information sanitaire connaît un essor ininterrompu sous diverses formes : les
procédés traditionnels – conférences et articles de presse, dans les diverses revues mutualistes – sont renforcés par les techniques audiovisuelles, qui amplifient considérablement les canaux de diffusion. 

L’exemple le plus caractéristique est encore une fois celui de la MGEN, engagée dans les années 1970 dans une ambitieuse action d’information audiovisuelle, qui participe à sa politique de communication.
Après le succès du premier film, réalisé en 1975 avec la société Scopcolor, Une même chance pour tous, destiné à assurer « les meilleures conditions de la conception, de la grossesse et de l’accouchement », est créée une société spécifiquement dédiée à sa politique audiovisuelle, mais aussi à celle du Syndicat national des instituteurs (SNI) et de l’ensemble de leurs organisations amies, rassemblées au sein du CCOMCEN (Le Comité de coordination des œuvres mutualistes et coopératives de l’Education nationale (CCOMCEN) a été créé en juin 1971 par Denis Forestier, président de la MGEN, pour rassembler l’ensemble des organisations mutualistes, coopératives et associatives de l’Education nationale. Il s’agissait de lutter contre un environnement économique de plus en plus orienté par loi du profit et d’éviter une concurrence interne. Dissous en 2010, le CCOMCEN a été relayé par l’Economie sociale partenaire de l’école de la République (L’ESPER).) 

Baptisée Société d’audiovisuel pour l’éducation et la culture (Savec), cette dernière
contribue largement à la politique de prévention de la mutuelle, en multipliant les films et reportages d’information sanitaire sur des sujets variés : prévention du vieillissement, handicap, contraception, etc. 

Son succès est patent : en 1983, un million de spectateurs ont bénéficié de 27 000 projections, dans des écoles normales, des lycées techniques ou professionnels, des mutuelles ou des écoles de parents. La Savec permet par ailleurs à la MGEN de sortir des univers mutualiste et scolaire pour toucher de nouveaux publics : des entreprises (Canal +, Air France), des associations, des municipalités et des administrations (Directions départementales des affaires sanitaires et sociales) lui passent bientôt commande.

Certaines de ces productions sont même utilisées par les administrations ministérielles (Droits de la Femme, Santé, Temps libre), ainsi que par des ambassades françaises, à Rome, au Québec et à Moscou. En 1981, Le temps du regard obtient le prix de la vulgarisation médicale de Bruxelles et Choisir l’avenir celui du film de l’enseignement et de la formation de Biarritz.

D’autres, comme Sans préavis, sont sélectionnés pour le festival du film d’animation de
Cannes, de 1982 à 1985, ou nominés aux Césars, entre 1984 et 1986.

Cette tradition d’information et de sensibilisation sera renforcée dans la décennie
1980, marquée par l’apparition du Sida, qui bouleverse les méthodes de prévention médicales.

Dans le même temps, la mise en œuvre d’une véritable politique de prévention mutualiste, à l’initiative de la FNMF, incite les mutuelles à se lancer dans de grandes campagnes d’information, en lien avec des organismes extérieurs : en 1988 et 1989, un document d’information sur le Sida, élaboré par la Direction générale de la Santé, est soutenu financièrement par la MGEN. De nombreux films sont également produits sur le sujet par la Savec : Le Sida, une pandémie (1988), Elisa (1988), L’intouchable (1989), Le Sida, une affaire d’Etat (1989), Dis-moi que tu m’aimes (1989), Propos sur le Sida (1990), J’fais pas ça avec n’importe qui (1991), Sida, parole de l’un à l’autre (1993) et Sida, une histoire qui n’a pas de fin (1994).

Si l’on peut mentionner une histoire de l’éducation populaire en mutualité, force est de reconnaître qu’elle reste limitée au champ de la santé, et qu’elle s’inscrit dans une ambition plus vaste de prévention, qui innerve le fonctionnement mutualiste depuis ses premiers pas au XIX e siècle. S’agit-il aujourd’hui d’élargir le spectre des thématiques abordées, et de faire de la mutualité un acteur plus engagé dans l’éducation populaire, en s’investissant sur des sujets de société plus variés ? Tel est l’un des objets du débat entrepris par l’Institut Montparnasse.

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