Le droit de l’aide et de l’action sociale : qui ? comment ? pourquoi ?

La question du droit de l’aide et de l’action sociales pose immanquablement celle de la population ou des populations concernées. Or, ce qui est vérité en France peut être apprécié différemment dans le cadre d’un comparatif entre certains pays européens. C’est pourquoi il nous paraît indispensable d’analyser plus avant la question de la pauvreté, donc des populations susceptibles de bénéficier d’aide et/ou d’action sociales.

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 Le droit de l’aide et de l’action sociales à la croisée des chemins : dynamiques et perspectives

Quelle protection sociale demain ?

Fabrice HENRY
Président de l’Institut Montparnasse
(Président de l’UNOCAM de 2009 à 2016 ; ex-Vice-Président de la MGEN et membre du Bureau National de la MGEN de 1999 à 2015)

Dans quelques pays d’Europe…

Ainsi, en analysant le taux de pauvreté entre le Royaume Uni, l’Italie l’Allemagne, la Suède, les Pays-Bas et la France sur la période 2005/2015, il apparaît une disparité importante entre ces différents pays européens tant en pourcentage de personnes vivant sous le seuil de pauvreté que dans l’évolution de ce pourcentage sur la période étudiée (cf. Enquêtes EU-SILC 2005 à 2015). Si le taux de personnes vivant au niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté à 60% du niveau de vie médian atteignait 13,6 % en France en 2015, il ressortait à plus de 14% en Suède, à près de 16% en Allemagne et au Royaume Uni et à près de 20% en Italie. Seuls les Pays-Bas avec un taux légèrement supérieur à 11%, se trouvaient en moins mauvaise situation que la France et que les autres pays de l’enquête EU-SILC…

En comparant l’intensité de la pauvreté dans certains des pays précités (source OCDE), il ressort qu’en France, en 2013, les personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté mesuré au seuil de 60% du revenu médian, avaient des revenus en moyenne inférieurs à 23,9% de ce seuil (situation comparable à 2005 et 2009 et comparable à l’Allemagne) alors que cet indicateur ressortait à près de 35% en Italie en 2013 (avec une nette dégradation par rapport à 2005 et 2009) ; cet indicateur étant en 2013 à  près de 25% aux Pays-Bas et à plus de 25% au Royaume-Uni.

Le niveau et l’intensité de la pauvreté sont, par conséquent, à des taux différents, traduisant, de facto, l’impact de situations économiques différentes et, une répartition des ressources non identique dans les pays comparés.

Ce qui rend d’autant plus délicate la recherche d’une éventuelle politique d’aides commune à ces différents pays… Qui plus est, chaque pays européen a mis en œuvre des politiques différentes, soit au niveau des aides directes qu’au niveau de dispositifs spécifiques, en particulier dans le domaine de la santé. Ce qui rend, là encore, difficile la recherche de politiques communes tant par les dispositifs utilisés, les critères d’attribution, que du fait de circuits différents et de modalités différentes de prise en charge et de financement.

En France

L’analyse de différents dispositifs d’aides fait ressortir des données qui méritent un examen approfondi.

Parmi les dispositifs d’aide, depuis janvier 2000, la France a développé la CMU pour tenter de répondre aux difficultés d’accès aux soins. Pour mémoire, ce dispositif vite estimé insuffisant du fait des effets de seuil qu’il a générés a été complété par l’ACS (Aide à la Complémentaire Santé).  Sans revenir sur les détails de ces différents dispositifs et sur leurs évolutions, il est intéressant d’examiner le nombre de bénéficiaires au 31 décembre 2016 (Source CNAMTS, données provisoires, tous régimes).

 

Ainsi, les effectifs totaux CMU-C atteignent 5 493 200 bénéficiaires essentiellement pris en charge par les CPAM (605400 personnes ayant toutefois opté pour une gestion par un organisme complémentaire).

Ces chiffres posent cependant la question de l’écart entre les bénéficiaires de la CMU-C et l’importance de la population dite « pauvre » estimée à plus de 8 millions de personnes par différentes enquêtes (en particulier celle publiée chaque année par le Secours Catholique).

Ce constat renvoie à la question de la connaissance des dispositifs et de la réalité de leur accessibilité et également à la question des conditions d’accessibilité et des effets de seuils. C’est vrai pour la CMU-C comme pour tous les autres dispositifs mis en œuvre.

Pour mémoire, les autres dispositifs d’aide et d’action sociales, visant directement l’apport de revenus de substitution, sont les suivants :

Plusieurs remarques peuvent être formulées :

– d’une part, le nombre de bénéficiaires ne coïncident pas avec celui des personnes considérées comme vivant sous le seuil de pauvreté ;

– d’autre part, le coût annuel global (environ 28 Milliards) reste « supportable » en comparaison d’autres dépenses de l’Etat et des collectivités territoriales, voire d’aides apportées à différents secteurs de l’activité économique. Qui plus est, ces sommes sont forcément réinjectées dans l’économie et, essentiellement, et c’est logique, pour la consommation de biens courants immédiats…

– enfin, la question de la pauvreté et celle de l’accès aux aides ou minimas sociaux nécessitent l’examen de l’accès à un emploi dès lors que le chômage de masse touche la France à un niveau important (supérieur pour certaines tranches d’âge à d’autres pays d’Europe).

C’est ce que détaille le tableau de la pauvreté et de la situation de l’emploi en France en pourcentage de chaque catégorie (données 2013) :

Il y a une adéquation évidente entre absence d’emploi et pauvreté et tout particulièrement pour certaines catégories durement touchées : familles monoparentales et couples avec enfants. Ces catégories se trouvent « logiquement » bénéficiaires des aides sociales.

Passer d’une vision protectionniste à une vision humaniste et universelle ?

Les différents éléments abordés posent la question des bénéficiaires des aides dans une période où s’exprime (certes, de façon minoritaire !) la possibilité de réserver les aides sociales à une partie de la population voire, à limiter montants et durées en fonction de critères prenant en considération l’origine des bénéficiaires, leur implication en termes de motivation, etc…

Ces critères, pour le moins suggestifs, cachent souvent des motivations d’une autre nature…plus ou moins avouable !

Ainsi, une enquête menée par le CREDOC pour le compte de l’Institut Montparnasse en octobre 2016 (dans le cadre des 70 ans de la Sécurité Sociale) a très clairement révélé des tendances protectionnistes, voire communautaristes… Ainsi, une partie de l’enquête portant sur les conditions d’accès à certaines aides montre clairement qu’une frange non négligeable des personnes sondées estime que les aides ne devraient être réservées qu’à celles ou ceux qui ont cotisé préalablement (sauf pour la prise en charge des personnes en situation de handicap) … Ce qui remet clairement en question les principes de généralisation des aides et leur universalité !

En réalité, notre société serait bien inspirée en se donnant comme objectif non de restreindre les aides mais, bien au contraire, d’aller vers une vision plus humaniste et universelle de celles-ci.

Comme le souligne Philippe WARIN (Directeur de recherche au CNRS et co-fondateur de l’Observatoire de non-recours aux droits et services-ODENORE-), « Il est urgent de simplifier les dispositifs de protection sociale ».

Cet objectif pourrait constituer une première étape mais une étape indispensable sachant que des milliers de bénéficiaires potentiels des aides existantes renoncent par méconnaissance de leurs droits, par crainte d’une stigmatisation ou par absence de proposition des services chargés de la gestion et du suivi de ces aides…

Le droit est essentiel mais n’est pas suffisant encore faut-il qu’il soit connu, promu et accompagné pour être réel et efficace !

A titre d’illustration, CMU-C et ACS démontrent les limites de leur efficacité dès lors que les bénéficiaires, après avoir passé les différentes étapes de leur attribution et surmonté les épreuves du non-recours, se heurtent à des refus de soins ou à « des évitements » comme le démontrent des études menées par le Fonds CMU (cf. Rapport d’activité 2016 du Fonds CMU, pages 80, 81, 82). Ainsi, le Fonds CMU distingue différentes raisons de comportements discriminatoires touchant aux représentations de la précarité (et à une méconnaissance de la précarité par les professionnels de santé), la cristallisation d’une opposition entre profession médicale et assurance maladie/pouvoirs publics, enfin la lourdeur administrative (réelle ou liée à l’opposition de certains professionnels aux dispositifs de tiers-payant…).

La question de l’harmonisation et de la simplification des aides sociales est une question majeure qui traduit l’intention et les objectifs des pouvoirs publics, des décideurs (politiques entre autres) quant à l’avenir de notre société et à la volonté de créer les conditions d’émancipation de chaque citoyen par un meilleur partage des ressources. Ce qui revient à l’objectif souvent évoqué par Pierre LAROQUE lors de la création de la Sécurité Sociale, à savoir, donner ou rendre à chacun sa dignité…

Il s’agit donc bien d’un choix de société…qui a ressurgi dans les débats des Présidentielles 2017 au travers de certaines propositions (ex. : revenu universel).

Au-delà des questions et débats internes à la France, la question a été posée plus globalement au travers du rapport du groupe consultatif présidé par Michelle BACHELET, mis en place par le BIT avec la collaboration de l’OMS en août 2010, et intitulé « Socle de protection sociale pour une mondialisation juste et inclusive ».

Comme le soulignait le Directeur général du BIT, Juan SOMAVIA, dans l’introduction à ce rapport :

« …nous espérons que le concept de socle de protection sociale sera une source d’inspiration et de motivation pour l’ensemble des dirigeants politiques, des décideurs, des acteurs sociaux et des autres parties prenantes, et qu’il leur permettra de voir la protection sociale sous un jour nouveau et de la considérer comme un instrument essentiel de la réalisation des objectifs de tous les pays du monde. »

En définitive, il est indispensable de s’appuyer sur un socle de valeurs et de considérer la protection sociale comme un marqueur de progrès essentiel pour l’avenir de nos sociétés.

Pour répondre aux idéaux républicains, pour maintenir les principes et valeurs de solidarité, pour assumer et assurer un avenir basé sur le partage et l’universalité des droits, il est sans doute nécessaire d’harmoniser le droit, d’en simplifier les règles et les modalités d’accès, mais bien plus urgent encore de définir un socle de valeurs communes tant au niveau national qu’international.

Dans cette perspective, les mutuelles, le mouvement mutualiste, peuvent constituer des éléments moteurs au travers des dispositifs qu’ils ont mis en œuvre ou contribuer à mettre en œuvre dans l’accompagnement de chaque individu tout au long de son existence, soit de façon unilatérale, soit en appui avec les pouvoirs publics.  C’est notamment le cas en France où la FNMF (Fédération Nationale de la Mutualité Française) a mis en place près de 2 500 services de soins et d’accompagnement Mutualiste (SSAM) regroupant cliniques, centres médicaux et dentaires, d’audioprothèses, crèches, maisons pour personnes âgées dépendantes, etc… Parce qu’il s’agit de sociétés de personnes et que celles-ci s’appuient sur des valeurs fortes de solidarité, les mutuelles, et avec elles le mouvement mutualiste, peuvent également appuyer l’évolution du droit chaque fois que nécessaire.

L’évolution de la protection sociale ne peut se concevoir qu’en associant toutes les parties prenantes car aucune d’elles ne détient seule la capacité et les possibilités d’agir pour que le droit de l’aide et de l’action sociale joue le rôle essentiel qui doit être le sien.

 

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