Les médecins, entre politique publique et aspiration libérale

La République à l’épreuve des inégalités La République est promesse de liberté, d’égalité, de fraternité.
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Face aux réformes des systèmes de soins, Hippocrate serait-il partenaire ou réfractaire ? En France serait-il secteur 1 ou secteur 2 ? Lui auquel tous les médecins se réfèrent par serment, serait-il réticent à la coordination des soins, à la régulation des tarifs, au tiers payant généralisé, à l’équilibre des installations médicales sur le territoire, au conventionnement d’intérêt public avec l’assurance maladie ?

L’Institut Montparnasse a souhaité élargir au-delà de la France le regard sur « Les médecins face aux réformes des systèmes de soins ». Pour entrecroiser les cultures nationales et professionnelles, pour comparer les politiques publiques. Patrick Hassenteufel et Alban Davesne nous proposent une analyse juxtaposée de la place des médecins en France, Allemagne et Suède.

L’histoire sociopolitique et socioprofessionnelle éclaire les différences d’organisation et de positionnement du corps médical dans ces trois pays. Trois systèmes sont campés, celui de notre pays étant plutôt l’anti-système des deux autres. Plus incertaine est la trajectoire récente qui dessine des inflexions altérant les organisations en place, libérant les alternatives opportunistes. L’Etat balance entre concentration et territorialisation, les caisses individualisent le lien contractuel avec le médecin, la tentation du privé libéral gagne du terrain. Les médecins pèsent de leur représentation collective, les patients ne sont pas forcément au coeur des compromis institutionnels.

Les auteurs retiennent trois angles d’analyse qui passent au révélateur les évolutions en cours : la maîtrise des dépenses, la coordination des soins, l’accès aux soins. Trois enjeux de santé publique et d’égalité sanitaire. L’Allemagne et la Suède y répondent mieux, pour avoir une relation institutionnelle avec les représentations des médecins. En France la relation est de nature conflictuelle (même si souvent les jeux de rôle sont plutôt convenus), la négociation ne s’entend que comme un rapport de force entre parties qui ne porte jamais le compromis au niveau des enjeux.

Le plein engagement professionnel du médecin n’est pas ici en cause, pas plus que sa relation au patient. Mais le caractère, l’expression, la position institutionnelle des représentations collectives des médecins nous dit quelque chose de l’identité et de la revendication dans lesquelles le praticien se reconnaît. En France un triple refus est le socle de l’identité « libérale » du médecin : refus de l’intégration professionnelle à l’Etat, refus de l’intégration fonctionnelle à l’Assurance Maladie, refus de l’intégration autoritaire dans une organisation des soins. Encore faut-il dire immédiatement que l’exercice médical exclusivement libéral est minoritaire, que 43% des médecins sont salariés et sont tout autant porteurs de la déontologie médicale. En outre faut-il indiquer que des évolutions sont à l’oeuvre dans les nouvelles générations de médecins qui recherchent des conditions d’exercice différentes. Parions que ces évolutions sont plus avancées que la représentation syndicale collective ne l’exprime. L’heure, nous semble-t-il est plus à l’entrée en réforme qu’à l’entrée en résistance.

Les inégalités d’accès aux soins, comme les inégalités dans le parcours de soins, s’accroissent. Là est l’enjeu central, déontologique pour les médecins, républicain pour notre société. La formidable mobilisation médicale, humaine et technologique, n’est pas suffisamment efficiente, ni dans son organisation, ni dans ses coûts. Le patient doit être le fédérateur et à travers lui la personne humaine en sa souffrance, en son vécu social, parfois en sa détresse. La pérennité d’une Assurance maladie universelle et solidaire doit faire conjonction d’intérêts.

Beaucoup de faux-semblants, beaucoup trop, dans l’architecture de régulation et de « gouvernance » du système de soins français. L’Etat qui tour à tour prend pour paravent l’Assurance maladie ou la contient (le Ministre en coulisse des négociations avec les libéraux, le Parlement annihilant certaines intentions régulatrices), l’Assurance maladie qui conventionne les praticiens sans les convaincre ni les contraindre, les syndicats de médecins, syndicats des catégories plus que de la profession médicale, exacerbant des antagonismes prétextés (ville/hôpital, spécialistes/généralistes, actes diagnostiques/actes techniques) … et, derniers assis autour de la table, les organismes complémentaires, financeurs aujourd’hui bien moins que demain dans l’esprit de ceux qui les invitent aux négociations.

Il serait bon que dix ans après une loi confuse et retorse, une nouvelle loi sur l’Assurance maladie, mieux une loi sur le système de santé, en 2014, remette tous les acteurs en convergence autour d’axes forts de santé publique et engage les caisses d’assurance maladie dans un conventionnement exigeant en partenariat avec des syndicats de médecins en prise avec les perspectives médicales et sanitaires de long terme … et que ce soit l’occasion d’un profond débat citoyen.

Jean-Michel Laxalt
Président de l’Institut Montparnasse.

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